Énergie-clé dans le cadre de la transition énergétique, le solaire n’est de loin pas exploité pleinement en Suisse. Les solutions innovantes et réalistes se multiplient pourtant. En Valais ainsi qu’en Suisse alémanique, un ambitieux projet avance : recouvrir des tronçons d’autoroute de panneaux photovoltaïques. Un peu folle de prime abord, la démarche s’avère particulièrement faisable et efficiente.
Et si les autoroutes produisaient de l'électricité ?
Face à l’ampleur de la crise environnementale, le développement de solutions de production d’énergie durables devient urgent. Car au rythme actuel, force est de constater que la décarbonisation de notre paradigme énergétique avance trop lentement. À titre indicatif, le soleil fournit aujourd’hui environ 6% du courant consommé en Suisse (Swissolar). Pour rappel, l’objectif fixé dans le cadre de la Stratégie énergétique consiste à couvrir 40% de nos besoins en électricité grâce au photovoltaïque à l’horizon 2050.
Le potentiel solaire du pays s’avère pourtant conséquent. En considérant la superficie du territoire helvétique, la Suisse reçoit en effet 200 fois plus d’énergie sous forme de rayonnement solaire que ce qu’il faudrait pour couvrir notre consommation totale ! Et selon des estimations de la plateforme Swiss-Energyscope, si nous équipions 80% de la surface totale des toitures et façades bien exposées du pays avec des panneaux photovoltaïques, nous pourrions couvrir 35 à 45% de nos besoins en électricité escomptés en 2050.
Toitures, façades, et ensuite ?
Au niveau architectural, l’intégration massive de structures photovoltaïques sur le parc immobilier pose cependant problème. Déjà d’un point de vue technique, tous les bâtiments ne permettent pas d’implanter si facilement des panneaux solaires, sans parler des oppositions encore trop fréquentes, notamment pour des questions d’esthétique. Toutefois, les filières photovoltaïques suisse et européenne progressent rapidement sur ces points, par exemples avec les technologies BIPV (n.d.l.r. pour Building Integrated Photovoltaics, soit des panneaux dont la couleur et les dimensions peuvent être modifiées afin de faciliter leur intégration en façade).
Identifier rapidement de nouvelles surfaces exploitables pour accélérer le développement du parc solaire suisse devient donc nécessaire. Et en dehors des logements et bâtiments, aussi bien dans les zones urbaines que dans les campagnes, il faut composer avec des défis complexes en matière de segmentation du territoire. Car entre ses zones agricoles, ses forêts et ses montagnes, la Suisse ne se prête pas particulièrement bien à l’implantation de centrales solaires de grande envergure comme on peut en voir en Allemagne, au Portugal, en Espagne, aux Emirats Arabes Unis mais aussi aux États-Unis.
Réseau routier, nouvel élan du photovoltaïque ?
En tenant compte de cette donne énergétique et géographique, le nouveau paradigme qui se dessine progressivement en Suisse propose donc de rassembler de multiples infrastructures durables décentralisées qui doivent engendrer un effet de levier significatif en fonctionnant en complémentarité. Et pour les emplacements des prochaines infrastructures photovoltaïques, pourquoi ne pas les installer sur nos autoroutes ?
Un projet avant-gardiste, développé depuis plusieurs années dans les locaux de la start-up alémanique EnergyPier, pourrait bien réaliser cette vision qui, de prime abord, peut sembler un peu folle. Concrètement, l’idée consiste à profiter des espaces artificiels que sont les autoroutes pour en exploiter le plein potentiel énergétique en les recouvrant de panneaux solaires. La démarche permettrait par ailleurs de minimiser les nuisances liées à la circulation. « Notre approche permet en effet de produire de l’énergie durablement tout en réduisant les inconvénients sonores de 5 à 8 décibels et en préservant le bitume des intempéries », souligne le CEO et ingénieur Laurent David Jospin. « En hiver, on évite donc de devoir passer la lame et de saler, et en été on protège le revêtement des fortes chaleurs et des irrégularités structurelles qu’elles génèrent. L’idée consiste finalement à donner plusieurs multifonctionnalités aux technologies photovoltaïques pour les rendre plus compétitives. Et pour y parvenir, une des pistes à suivre repose paradoxalement sur la capacité à faire de l’ombre avec les dispositifs solaires. »
Projet pilote en Valais
Pour démontrer la faisabilité de son projet, EnergyPier a identifié deux sites prometteurs entre la Suisse alémanique et le Valais. Objectif : bâtir des installations pilotes de démonstration. Aux abords de Fully, l’idée consiste ainsi à recouvrir un tronçon de 1,6 km de l’autoroute A9. Entre les 76’800 m2 de panneaux photovoltaïques qui recouvriraient la route et les éoliennes qui pourraient être incorporées à la structure par la suite, le dispositif permettrait de produire environ 50 GWh par an, soit la consommation de 12’500 ménages. L’accord de l'OFROU (voir ci-dessous) concerne initialement la partie photovoltaïque. L'ajout des éoliennes ne sera possible que s'il peut être démontré que les usagers de la route ne sont en aucune manière mis en danger par ces dernières. Le potentiel énergétique et les aspects sécuritaires du volet éolien seraient donc étudiés à l’aide d’anémomètres dans un premier temps.
Le raccord de ce nouveau dispositif au réseau électrique est pour l’instant imaginé selon trois scénarios. Il serait par exemple possible de venir se greffer au réseau moyenne tension de la commune qui se trouve à proximité. « Une solution qui nécessiterait d’intégrer un système de batterie à notre infrastructure pour lisser la production », précise Laurent David Jospin. Les deux autres alternatives consistent à rejoindre le réseau haute tension situé à 3,5 km, soit en finançant directement les travaux nécessaires pour enterrer le câble de raccord et installer un transformateur dans une station existante, soit en planifiant cette opération d'entente avec les Forces motrices valaisannes, qui ont également des besoins additionnels à couvrir sur ce secteur géographique.
En attendant les décisions cantonales, le projet est dans les starting blocks. Coûts estimés des travaux pour l’infrastructure de Fully : 40 millions de francs. « En termes de rentabilité, notre installation s’avère tout à fait comparable à ce que l’on obtient avec un barrage dans la filière hydroélectrique », ajoute l’ingénieur. « À terme, une fois le potentiel helvétique davantage exploité, notre ambition consiste également à exporter ce nouveau savoir-faire industriel et d’ingénierie pour renforcer le positionnement suisse dans un domaine appelé à devenir de plus en plus stratégique. »
La demande de permis de construire devrait être soumise à l’OFROU fin juin pour approbation technique sur le plan sécuritaire avant d’être déposée officiellement auprès de l'autorité cantonale. Le délai effectif dépendra néanmoins de la concrétisation de l'inscription au plan directeur cantonal qui reste un prérequis. En Suisse, le potentiel s’avère significatif puisqu’en recouvrant près d’un tiers du réseau autoroutier avec ce type d’installations, EnergyPier estime qu’il serait possible d’égaler les capacités énergétiques actuelles de nos centrales nucléaires.
Ce qu’en dit l’OFROU
Impliqué dans les réflexions et décisions liées au projet, l’Office fédéral des routes se montre ouvert à l’idée de recouvrir l’A9 de panneaux solaires. En Suisse alémanique, des parois antibruit recouvertes de modules photovoltaïques longent déjà certaines routes argoviennes depuis plusieurs années. Concernant le projet avant-gardiste d’EnergyPier, la première préoccupation de l’OFROU concerne la sécurité, tant des 40’000 véhicules qui transitent quotidiennement par la route que des travailleurs. « Il nous faudra en effet examiner attentivement ces aspects sécuritaires durant la phase de travaux mais aussi tout au long du cycle de vie de l’ouvrage », souligne Guido Bielmann, porte-parole de l’OFROU. « Ces impératifs s’ajoutent aux questions de maintien du trafic. Car il n’est pas possible de fermer l’autoroute pour une durée importante, que ce soit pour les travaux de construction ou de maintenance. » Autre aspect à examiner : la luminosité. Recouvrir la voie, même sur le modèle d’un semi-tunnel, peut en effet nécessiter la mise en place d’un système d’éclairage.
Si ce projet pilote venait à se concrétiser, il ouvrirait ainsi une nouvelle voie dans le développement d’infrastructures durables aussi inédites que prometteuses. En Suisse, pays dont la complexité de la topographie oblige à faire preuve d’innovation pour étendre les dispositifs durables, les autoroutes pourraient bien constituer des emplacements stratégiques. Avec le volet éolien qui pourrait encore venir se greffer sur le projet par la suite, les voies de circulation prendraient ainsi un tout nouveau rôle, jusque-là insoupçonné.
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