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L'anergie, un échange de bons procédés

Anergie

Un réseau (ou boucle) anergie pourrait se résumer ainsi : les rejets thermiques des uns deviennent la ressource des autres. Ce « réseau thermique du futur » représente une solution énergétique très intéressante dans la perspective du développement de la ville durable.

Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, l’anergie ne fonctionne pas « sans énergie ». Le principe repose plutôt sur la récupération d’énergie perdue. Une boucle anergie offre en effet la possibilité de capter, stocker et redistribuer l’énergie. Fonctionnant dans la majorité des cas avec une ressource géothermique ou d’hydrothermie (eau du lac), l’approche peut toutefois se coupler avec d’autres énergies renouvelables comme le soleil, l’eau ou encore le vent.

À quoi ça sert ?
La boucle anergie relie entre eux des consommateurs de chaud et de froid, comme l’explique Giulio Caimi, responsable Infrastructures énergétiques chez Romande Energie. « L’approche permet des échanges thermiques simultanés entre différents consommateurs. Connectés sur un même réseau, ils ont la possibilité d’échanger leurs rejets thermiques, qui autrement seraient perdus. Le manque ou le surplus d’énergie de chaque consommateur est fourni ou dissipé par l’environnement, soit via des sondes géothermiques, soit avec les rejets de STEP ou encore via le pompage d’eau du lac. C’est le réseau du futur pour les milieux urbains, une solution qui tend à se déployer. » En effet, la consommation de froid d’un immeuble rejette des calories (de la chaleur), qui peuvent alors être consommées par un immeuble voisin, et vice versa. Avec l’anergie, les « pertes énergétiques » des uns se transforment en « gains énergétiques » pour les autres.

Imaginez qu’un immeuble administratif soit « mis en boucle » avec des bâtiments locatifs situés à proximité. En été, une partie de la chaleur évacuée par les bureaux pourrait être envoyée dans le réseau pour répondre à une partie des besoins en eau chaude sanitaire du bâtiment locatif. De même, le froid envoyé en hiver dans la boucle anergie pourrait être utilisé pour rafraîchir les salles serveurs de l’immeuble administratif. « La récupération à l’échelle d’un consommateur existe depuis longtemps », précise Michel Meyer, membre du comité de Géothermie Suisse. « Les anciennes usines prenaient l’eau du réseau pour refroidir les pièces usinées. L’eau rejetée à 50°C était alors utilisée pour d’autres processus industriels, ou pour alimenter en eau chaude les douches des employés. Le gros changement aujourd’hui, c’est le développement des infrastructures de réseau thermiques, qui permet de valoriser ce potentiel à une plus large échelle. »

Les quatre piliers de l’anergie
La boucle anergie comprend un dispositif de captage1 (la ressource énergétique), un dispositif de mutualisation2 (la boucle anergie), un dispositif de production3 (une pompe à chaleur) et un dispositif de régulation4 (l’intelligence du système).

La ressource énergétique1 : Dans la majorité des cas, une boucle anergie s’appuie sur un réseau géothermique. Mais un lac ou encore des eaux usées d’épuration peuvent être une bonne source thermique (voir l’exemple de la STEP de Morges, en bas de page).

La boucle anergie2 : La mise en commun des bâtiments est la première étape à franchir pour créer une boucle anergie. Pour cela, on utilise deux tubes dans lesquels circule de l’eau (le CO2 est actuellement testé*). Chaque bâtiment est raccordé à la boucle, qui relie ainsi les différents bâtiments entre eux.

La pompe à chaleur3 : La boucle anergie est connectée à des pompes à chaleur (PAC), qui récupèrent la chaleur de l’environnement et permettent d’adapter les niveaux de température. Il est ainsi possible de raccorder sur une boucle anergie un bâtiment qui a un besoin de chauffage à 50°C et un autre avec un besoin de chauffage à 30°C, en adaptant la consigne de température des PAC présentes dans chaque bâtiment.

L’intelligence du système4 : la régulation, c’est le cerveau du réseau anergie. Ingénierie du système, capteurs ou encore gestion semi-automatique rendent aujourd’hui possible la mise en place de boucles anergie.

* L’eau… ou le C02
L’eau est largement utilisée dans le réseau anergie. Toutefois, le CO2 est dans le viseur, pour ses grandes capacités thermiques et sa facilité d’installation, comme l’explique Jessen Page, professeur en systèmes énergétiques à la HES-SO Valais à Sion. « Pour implanter un réseau thermique en zone urbaine, il faut enfouir des tuyaux de grandes dimensions et prévoir d’importants travaux de génie civil, avec tout ce que cela implique de perturbations de trafic en surface. L’avantage du C02 est qu’il nécessite des conduites flexibles, de plus petits diamètres, qui peuvent être tirées sous les trottoirs. Et contrairement à l’eau, il ne risque pas de geler (voir les difficultés). » Un démonstrateur est actuellement en construction sur le campus EnergyPolis de la HES-SO à Sion, afin de tester la faisabilité de l’approche.

Connexion et mutualisation
Un des points forts de l’anergie, c’est la possibilité d’y intégrer des sources d’énergie différentes, à n’importe quel endroit du réseau. « À partir du moment où les tuyaux sont interconnectés, on peut y injecter plusieurs ressources », explique Michel Meyer, de l’association Géothermie Suisse. « Sur la boucle, on peut imaginer trouver une centrale géothermique qui produit de l’eau à 50°C, une station d’épuration qui rejette des eaux épurées et une industrie qui rejette des déchets thermiques. Le réseau supporte des sources d’approvisionnement multiples. »

Un autre atout majeur de l’anergie réside dans sa capacité à mutualiser les besoins énergétiques entre bâtiments, ce que ne permet pas un réseau de chaleur classique, qui reste dans le schéma d’une production d’énergie centralisée et unidirectionnelle. Chacun peut ici profiter des déchets thermiques de l’autre. Toutefois, les besoins n’étant pas forcément simultanés, la ressource géothermique peut servir de stockage pour le chaud et le froid. Encore un atout de l’anergie, et non des moindres.

Le stockage des énergies renouvelables
Si les besoins en chauffage des uns coïncident avec les rejets de chaleur des autres, alors l’énergie transite directement d’un bâtiment à l’autre. Mais lorsque la concordance de temps n’y est pas, la boucle anergie permet d’emmagasiner, via un stockage géothermique, l’énergie abondante en période estivale notamment, pour la restituer en hiver par exemple, au moment où la demande est importante. « Il est possible de profiter de la capacité de stockage thermique du sous-sol, relève Michel Meyer, de Géothermie Suisse. On préchauffe le sous-sol à 17°C et, l’hiver suivant, quand les besoins sont importants, on récupère une partie des calories enfouies quelques mois plus tôt. Le stockage est possible avec des sondes géothermiques, tout comme avec les nappes phréatiques : le chaud dont personne n’a besoin va réchauffer les eaux souterraines de quelques degrés. En hiver, la ressource naturelle sera alors préchauffée et les calories seront à disposition. » Et si la ressource thermique peut être stockée, l’électricité produite par des panneaux solaires ou des éoliennes n’est pas perdue non plus. « On reproche souvent cette mauvaise concordance de temps aux énergies renouvelables, le fait qu’elles ne produisent pas toujours l’énergie au moment opportun, ou alors qu’elles en produisent en excès, ajoute Michel Meyer. Mais avec l’anergie, l’électricité produite via les sources renouvelables peut être utilisée pour alimenter les pompes à chaleur. Et dans le cas d’un excès de production, plutôt que d’arrêter une éolienne, on peut la laisser tourner et stocker ce surplus en sous-sol pour une utilisation ultérieure. Je pense que, dans vingt ans, on aura plein de boucles de ce type, avec des synergies entre les différentes productions d’énergies renouvelables. »

En résumé…

Les avantages et les limites de l’anergie
L’avantage du concept

  • Fonctionne simultanément entre des producteurs de froid et de chaud.
    Faibles pertes d’énergie entre la source d’énergie et le consommateur, ce qui permet donc à l’énergie d’être livrée sur de plus longues distances.
  • Différentes boucles peuvent se connecter entre elles.
  • Différentes sources d’énergie peuvent s’y raccorder.
  • Valorisation de la mutualisation de l’énergie entre bâtiments et entre ressources.
  • Stockage intersaisonnier et court terme possible.

Les difficultés

  • Plutôt adapté aux grandes infrastructures et aux projets d’envergure. Le projet doit être suffisamment grand pour permettre les échanges thermiques et le stockage d’énergie. Toutefois, un projet mené actuellement sur le site de la HES-SO
  • Valais à Sion vise à raccorder trois bâtiments seulement.
  • Réseau, sondes géothermiques, infrastructure : l’installation de réseaux thermiques de ce type est coûteuse.
  • Lors des périodes où un grand nombre d’utilisateurs rejettent du froid, l’eau peut geler à l’intérieur des tuyaux. Il est alors parfois nécessaire d’ajouter une source de chaleur externe pour réchauffer le circuit.
  • La régulation d’un tel système est complexe : y a-t-il assez d’énergie, à quel moment l’injecter, quand déstocker, etc. ? Gérer le système au mieux représente un vrai défi.
  • L’anergie demande une vision globale, pour concevoir à l’échelle d’une ville UN réseau et non DES réseaux thermiques. Mais d’autres domaines doivent intégrer les réflexions, notamment celui de la construction et de la rénovation.


***

Des exemples de réseaux anergie mis en œuvre
Projet : Campus Hönggerberg / ETH Zurich

Depuis 2013, le campus Hönggerberg de l’ETH Zurich exploite son propre réseau d’anergie, avec système de stockage souterrain. Le site accueille plus de 12 000 étudiants et membres du personnel et comprend plus de 30 bâtiments. Dans les prochaines décennies, l’objectif est de couvrir 90% des besoins en énergie via l’anergie.

Jusqu’à il y a dix ans, la chaleur était presque entièrement produite à partir du gaz naturel. En 2006, la direction de l’ETH Zurich s’est fixé un objectif de réduction de 50% des émissions de CO2 du campus d’ici à 2020, soit une économie de 5000 tonnes de CO2 par an. Dans la phase d’extension finale, le réseau anergie couvrira une grande partie de la demande de chauffage et de refroidissement.

Le 9 janvier 2020, l’ETH Zurich a reçu le prix suisse de l’énergie, le Watt d’or, pour son réseau anergie.

(Source : ETH Zurich)

Projet : STEP de Morges

Anergie

« Il y avait les bonnes conditions pour développer un projet anergie à cet endroit », explique Giulio Caimi, responsable Infrastructures énergétiques chez Romande Energie. « La source d’énergie était à disposition, mais pas encore exploitée. » Et la source d’énergie en question, ce sont les eaux usées issues de la station d’épuration.

Concrètement, l’énergie à basse température des eaux traitées en sortie de STEP est récupérée grâce à un échangeur thermique et transmise à un réseau à distance connecté à des pompes à chaleur. Installées directement chez les clients des bâtiments voisins, celles-ci amplifient la chaleur livrée par le réseau pour fournir du chauffage ou produire du froid de confort. Une réserve de puissance permet d’envisager le raccordement de nouveaux bâtiments dans les années qui viennent.

Anergie
Joëlle Loretan
Rédigé par Joëlle Loretan · Journaliste

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