Eolienne, stockage, mobilité électrique, photovoltaïque ou encore micro-réseaux intelligents : ces termes sont souvent associés aux technologies devant permettre d’assurer la transition énergétique. Souvent évoquées dans les médias, à juste titre, elles sont bien connues du grand public. Mais toutes ces technologies partagent un autre point commun : elles s’appuient en effet sur une même technologie bien moins célèbre : l’électronique de puissance. C’est à cette technologie de l’ombre que cet article est consacré.
L'électronique de puissance, la technologie de l'ombre de la transition énergétique
Qu'est-ce que l’électronique de puissance ?
Au contraire de l’électronique « classique », qui a pour but le traitement et la transmission d’informations, l’électronique de puissance regroupe les techniques visant à convertir et à transmettre l’énergie électrique. Pour cela, ces techniques s’appuient également sur l’utilisation de transistors. Ceux constituant les processeurs de nos ordinateurs ne mesurent que quelques milliardièmes de mètre, mais les transistors utilisés en électronique de puissance peuvent atteindre les 10 centimètres et peser plus de 600 grammes. Malgré ce rapport de taille de 10 millions, leur fabrication n’en relève pas moins de la haute technologie.
Peu importe l’échelle, tous les transistors sont utilisés de la même manière : ils font office d’interrupteurs. À l’inverse des interrupteurs mécaniques permettant d’allumer la lumière ou d’enclencher des appareils, les transistors sont eux actionnés par un signal électrique. Ils peuvent être actionnés plusieurs milliards de fois par seconde pour les plus petits et “seulement” quelques milliers de fois par seconde pour les plus grands. En agençant ces transistors de façon adéquate et en contrôlant leur ouverture et fermeture de manière appropriée, on forme des circuits électroniques appelés « convertisseurs ». Ceux-ci permettent de transmettre l’énergie électrique tout en modifiant sa forme. Il est ainsi non seulement possible d’abaisser ou d’augmenter la tension, comme avec un transformateur, mais également de modifier la fréquence ou encore de donner au courant électrique des formes bien particulières nécessaires à certaines applications. La principale qualité de l’électronique de puissance est sa capacité à transmettre l’électricité avec une très grande efficacité, limitant les pertes d’énergie à leurs minimums. En effet, une conception soignée permet d’obtenir des rendements de l’ordre de 95 % ou même au-delà.
Ces deux caractéristiques ; la modification de la forme de l’électricité et une grande efficacité, font de l’électronique de puissance une technologie centrale pour des applications couvrant toute la chaîne de l’énergie électrique, de sa production à son utilisation, en passant par son transport.
La production d’énergie
Le photovoltaïque est probablement le moyen de production d’électricité renouvelable dont le potentiel en Suisse est le plus important. La possibilité de l’intégrer facilement à l’environnement bâti et ses coûts en constante diminution expliquent en grande partie son succès. Néanmoins, les caractéristiques de l’électricité produite par un panneau solaire sont très différentes de celle consommée dans nos appareils. Premièrement, un module photovoltaïque produit du courant continu alors que le réseau électrique sur lequel cette production est injectée fonctionne en courant alternatif. Deuxièmement, la tension à la sortie d’un panneau solaire standard se situe autour de 40 volts, alors que celle du réseau est de 230 volts. Pour que l’électricité photovoltaïque puisse transiter par le réseau, il est donc non seulement nécessaire d’adapter le niveau de la tension, mais également de transformer le courant continu en courant alternatif. Cette double transformation est réalisée grâce à type de convertisseurs appelé onduleur. Mais le rôle de ce dernier ne se limite pas au seul changement de la forme de l’électricité. Les onduleurs adaptent également en temps réel leur fonctionnement aux changements de conditions d’ensoleillement, permettant ainsi d’en tirer le plus d’énergie possible. On appelle cette fonctionnalité « la recherche de la puissance maximale », communément rencontrée sous son acronyme anglais MPPT (Maximum power point tracking).
L’intérêt de l’électronique de puissance dans le contexte de la production d’énergie ne se limite pas seulement aux technologies produisant du courant continu. Elle peut aussi être utile associée à des systèmes générant du courant alternatif comme certaines éoliennes ou turbines hydrauliques. Lorsqu’ils sont couplés à des génératrices liées au réseau, la vitesse de rotation de ces éléments tournants est fixe et déterminée par la fréquence du réseau. Or, dans certaines conditions de vent ou de courant, cette correspondance directe peut prétériter la production d’énergie. En insérant un convertisseur d’électronique de puissance entre le réseau et la génératrice entraînée par les pâles, il devient possible d’adapter la vitesse de rotation aux conditions météorologiques. Dans ce cas, le convertisseur agit ainsi comme une boîte à vitesse électronique permettant d’améliorer la production d’énergie renouvelable.
Le transport de l’énergie
Une fois l’électricité produite, il est nécessaire de la transporter jusqu’aux consommateurs finaux. Et même si les réseaux électriques en courant alternatifs sont une technologie très performante malgré un fonctionnement ayant relativement peu évolué depuis plusieurs décennies, l’avènement de l’électronique de puissance a permis l’émergence de nouvelles applications.
La première de ces applications est le transport d’électricité à haute tension continue, ou HVDC. Lorsqu’il est nécessaire de transporter l’électricité sur de très longues distances ou dans des conditions particulières telles que des liaisons sous-marines, l’utilisation du courant continu permet de limiter les pertes d’énergie. Ce mode de transport de l’électricité est donc particulièrement utile pour ramener sur la côte la production des parcs éoliens off-shore.
D’autres applications sont également possibles plus près de chez nous. En effet, l’une des principales caractéristiques des convertisseurs est qu’ils permettent de contrôler, très finement et avec une grande réactivité, le flux d’énergie qui les traversent. Par analogie avec un flux d’eau, les convertisseurs d’électroniques de puissance agissent ainsi comme des vannes réglables, là où des éléments plus classiques agiraient comme des clapets ne pouvant être que complétement ouverts ou complétement fermés. Dans le projet pilote de Mont-sur-Rolle, un dispositif développé par la haute école d’ingénieur du canton de Fribourg (HEIA-FR) permet ainsi de connecter de manière « souple » deux parties du réseau de distribution. En pouvant ajuster l’énergie échangée entre les deux parties du réseau, la stabilité de l’ensemble est améliorée et permet ainsi, par exemple, l’intégration d’une part plus importante d’énergie solaire.
Le stockage de l’énergie
Sans électronique de puissance, le stockage de l’électricité ne serait également pas possible, ou du moins beaucoup plus compliqué. Les batteries fonctionnant en courant continu, une conversion en courant alternatif est encore une fois nécessaire afin de permettre l’échange d’énergie avec le système électrique standard. Et là encore, le rôle des convertisseurs d’électronique de puissance ne se limite pas à une simple conversion de forme. Pour la charge comme pour la décharge des batteries, ils adaptent constamment le courant et la tension aux caractéristiques électrochimiques, différentes pour chaque technologie de batterie et variant également durant les différentes phases du processus.
L’utilisation de l’énergie
En ce qui concerne l’utilisation de l’électricité, l’électronique de puissance est présente presque partout : de l’éclairage LED à l’alimentation de nos ordinateurs en passant par les vélos électriques ou l’entraînement des compresseurs des pompes à chaleur. Seules les applications les plus simples font exceptions à cette omniprésence.
Un domaine illustrant particulièrement le rôle central de cette technologie est celui en plein essor de la mobilité électrique. En effet, plusieurs convertisseurs se trouvent à l’extérieur et à l’intérieur des véhicules. Lors de la charge, que ce soit grâce à une borne rapide de haute puissance ou à travers le branchement à une prise classique, un convertisseur agit pour fournir le courant continu nécessaire à la batterie et s’assurer un profil de recharge adéquat. De plus, lorsque l’on appuie sur l’accélérateur d’un véhicule électrique, cet ordre n’est pas transformé en une quantité de carburant injecté dans le moteur, mais bien en un courant électrique extrait de la batterie et transformé, encore une fois, en courant alternatif avant d’être transmis de manière optimale au moteur électrique. Ce même convertisseur est même capable, lors des freinages, de faire circuler ce courant dans l’autre sens et de le réinjecter dans la batterie, récupérant ainsi l’énergie de mouvement du véhicule au lieu de la dissiper dans les freins.
Pour conclure
Bien que l’électronique de puissance soit une technologie arrivée à maturité, son rôle central dans la transition énergétique justifie encore aujourd’hui d’importants efforts de recherche et développement, de la part d’acteurs académiques comme d’acteurs privés. Des convertisseurs de plus en plus complexes permettent d’obtenir des rendements énergétiques toujours plus importants et ouvrent également des perspectives pour de nouvelles applications. De plus, l’apparition depuis quelques années de nouveaux matériaux pour la fabrication des transistors apporte également son lot d’améliorations. Grâces à leurs performances accrues, ces nouveaux matériaux, dont le diamant pourrait bien faire partie dans quelques années, permettent de miniaturiser toujours plus les convertisseurs et de diminuer encore les pertes d’énergie. Toujours plus performante et plus discrète, l’électronique de puissance soutiendra la transition énergétique pendants encore de nombreuses années.
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