La moitié de la population mondiale vit en zone urbaine. Pour que les villes puissent offrir une qualité de vie soutenable durant les étés toujours plus chauds qui nous attendent, elles doivent agir vite et bien. Transformer les îlots de chaleur en îlots de fraîcheur est une étape essentielle pour maintenir l’attractivité urbaine. Politiciens, urbanistes, propriétaires : il est urgent de suivre ces quelques préceptes finalement assez simples : végétalisez, renaturez, débitumez et mettez en place plusieurs pistes intéressantes présentées ici.
Pour supporter les étés qui nous attendent, transformons les îlots de chaleur urbains en îlots de fraîcheur
Qu’est-ce qu’un îlot de chaleur et pourquoi apparaissent-ils ?
Un îlot de chaleur, c’est un microclimat caractérisé par une élévation de la température diurne et/ou nocturne importante à l'échelle d'une rue ou d'un quartier par rapport aux espaces environnants. D’après des cartes d’analyse climatique zurichoises par exemple, la température mesurée dans les quartiers de la ville peut être de 6 à 7 °C supérieure à celle des zones rurales périphériques. En cause, la forte absorption du rayonnement solaire par les surfaces construites et imperméabilisées, en grande partie composées de matières minérales foncées (asphalte, gravier, briques et béton). L’air circule mal du fait de la densité du bâti ou de la mauvaise orientation des bâtiments, l'absence d’ombre et de refroidissement par évaporation qu'apporte la végétation, le manque d'espaces ouverts et enfin, la chaleur produite par l’activité industrielle, les transports et la climatisation.
La plupart des villes ayant été façonnées autour de la voiture sont aujourd’hui fortement bitumées : routes, aires de stationnement et autres aménagements gris représentent une grande partie des espaces non bâtis urbains. Pour vous convaincre, observez dans vos parcours quotidiens la place généreuse dédiée au bitume carrossable. Les espaces naturels ont été « minéralisés ». Même les cours d’eau sont parfois enfouis sous terre pour laisser place au bitume. Rajoutons à cela les nombreuses activités induites par les centres urbains et nous comprendrons l’origine des îlots de chaleurs.
Globalement, l’Europe centrale, et donc la Suisse, compte parmi les régions dans le monde où le nombre de jours tropicaux a le plus augmenté ces dernières décennies. Et le réchauffement climatique rend cette question des îlots de chaleur toujours plus urgente à traiter. Car même si nous parvenons à limiter le réchauffement climatique mondial à 2 °C à l’échelle mondiale en faisant rapidement baisser les émissions de gaz à effet de serre, il nous faudra affronter des périodes de grande chaleur. Les derniers scénarios climatiques concernant la Suisse indiquent en effet que nous devrons tout de même nous attendre à une hausse des températures estivales entre 0,9 et 2,5 °C d’ici 2050. Les années exceptionnelles sont en passe de devenir la norme : les vagues de chaleur prolongées, au cours desquelles le thermomètre franchit la barre des 30 °C l’après-midi et ne descend pas sous celle des 20 °C la nuit, passeront d’un jour par année en moyenne à 17 jours par année en 2060.
Quels sont les impacts négatifs de ces îlots de chaleur ?
Diminution du bien-être des habitants et augmentation de la mortalité
Les villes accueillent plus de la moitié de la population mondiale. Certes, tous ne vivent pas à proximité d’îlots de chaleur, mais jusqu’à ce que les villes adoptent les principes essentiels décrits ci-dessous pour réduire les îlots de chaleur, nous serons nombreux à subir les effets négatifs de ces journées et nuits trop chaudes. Car les vagues de chaleur amènent « au mieux » un inconfort général et des nuits blanches, et au pire peuvent être la cause de décès. Dans le rapport de l’OFEV « Quand la ville surchauffe », il a en effet été établi que le risque de décès lié à la chaleur augmentait significativement lorsque les températures maximales en journée dépassaient les 30 °C, même après un seul jour. La chaleur peut entraîner une sollicitation accrue du système cardiovasculaire pendant la journée. Les personnes âgées et les enfants en bas âge en particulier sont fortement touchés par l’impact sur la santé d’un épisode caniculaire avec des températures supérieures à 30 °C.
Perte de la biodiversité et diminution de la qualité de l’air et de l’eau
Les îlots de chaleur et l’absence de rafraîchissements nocturnes répétés créent un stress thermique, qui fragilise les humains les plus vulnérables. Mais pas uniquement : ces chaleurs impactent également la flore et la faune, et péjorent la qualité de l’air et de l’eau.
Perte d’attractivité des villes
Enfin, les villes qui ne prendront pas des mesures fortes afin de réduire les effets des îlots de chaleur perdront considérablement en attractivité ces prochaines décennies.
Et enfin, augmentation des besoins énergétiques pour la climatisation
Les îlots de chaleur impliquent également une augmentation de l’utilisation de climatisation qui permet de moins subir les effets de ce réchauffement mais qui contribue en même temps à renforcer ces îlots de chaleur. La consommation d’électricité à des fins de refroidissement représente chaque année environ 8 milliards de kWh (8000 GWh) en Suisse, soit 14% de la consommation totale d’électricité du pays (OFEN, 2013). Et ces chiffres ne feront qu’augmenter...
Comment transformer les îlots de chaleur en îlots de fraîcheur ?
1. Requestionnons la place centrale de la voiture en ville
Comme mentionné plus haut, la place centrale laissée à la voiture en ville a créé des villes bitumées et minérales favorisant fortement les îlots de chaleur. Réduire ces îlots de chaleur nécessite donc obligatoirement de réduire l’espace dédié aux véhicules individuels motorisés.
2. Développons une structure urbaine réfléchie et des espaces ouverts en réseau
Il s’agit tout d’abord pour les urbanistes de réfléchir à une structure du milieu bâti et non bâti qui tient compte des fortes chaleurs. Pour y parvenir, il faut par exemple laisser circuler les vents des zones périphériques vers les centres urbains qui atténuent l’effet îlot de chaleur. Les corridors d’air frais ne doivent donc pas être entravés par des bâtiments, qu’il faudrait plutôt orienter dans le sens du vent que contre celui-ci. Enfin, les espaces ouverts devraient être mis en réseau.
3. Plantons des arbres et végétalisons
À l’ombre d’un arbre, la température diurne peut être jusqu’à 7 °C plus fraîche qu’aux alentours. Les grands arbres offrant une couronne volumineuse sont idéals. Il s’agit toutefois de choisir des espèces pouvant supporter la chaleur et la sécheresse induites par le réchauffement climatique. Les arbres sont un atout majeur pour réduire la chaleur urbaine, à la fois par l’ombre précieuse qu’ils apportent, mais aussi par leur effet « évapotranspirant ». Les arbres se comportent comme un système de climatisation parfait : une zone végétalisée bien fournie en eau est considérablement plus fraîche que les surfaces sèches voisines. Dans le cas d’un arbre d’envergure, ce sont ainsi plusieurs centaines de litres d’eau qui s’évaporent par l’intermédiaire du métabolisme végétal. De façon générale, la végétation, qu’elle soit plantée en pleine terre, en bac, en toiture ou en façade, par son effet « évapotranspiration », rafraîchit le climat urbain. Par exemple, sur les toits plats végétalisés, 50 à 70 % des précipitations annuelles peuvent retourner par évaporation dans l’atmosphère.
4. Désimperméabilisons nos sols
Les surfaces imperméabilisées accroissent l’effet d’îlot de chaleur. Sur l’asphalte, l’eau de pluie s’écoule directement dans les égouts. En revanche, sur les surfaces non- ou désimperméabilisées, elle peut s’infiltrer et s’évaporer à nouveau par la suite. Ce phénomène prélève de la chaleur dans l’air ambiant. Dans les zones exposées aux fortes chaleurs, toute forme de désimperméabilisation est bénéfique, que ce soit dans l’espace routier, les parkings, les arrière-cours, etc.
5. Donnons plus d’espace à l’eau
L’eau est un élément naturel important de plus à « utiliser » pour rafraîchir nos villes. Les plans d’eau contribuent considérablement à la régulation thermique. Le pouvoir rafraîchissant de l’eau dû à l’évaporation est encore plus efficace si l’eau est vive car le mouvement des eaux augmente la surface d’évaporation et renforce les échanges avec les couches plus profondes et plus froides. Ainsi, une rivière sera par exemple plus rafraîchissante qu’un étang. Si l’eau peut être vécue comme une expérience aquatique pour les habitants, c’est encore mieux. Par exemple : remettre à ciel ouvert des cours d’eau et les aménager pour permettre la baignade, intégrer des brumisateurs d’eau sur des places publiques, installer des fontaines à jet, etc. Enfin, la gestion des eaux pluviales doit être intégrée à la réflexion. Elle peut être modifiée pour retenir l’eau en ville, par la perméabilisation des surfaces, la canalisation naturelle et la création de bassins de rétention.
La renaturation des rives de l’Île-de-la-Suze, à Bienne est un excellent exemple. L’espace de détente qui s’étend sur 5,4 hectares, fait la part belle à La Suze. La rivière qui coulait jusqu’alors de façon monotone entre des blocs de pierre, a été transformée en cours d’eau dynamique. Des talus engazonnés et des rives plates agrémentées de plages de gravier bordent désormais la rivière. Par ailleurs, ce projet a gagné de nombreux prix.
6. Éclaircissons nos revêtements
Les milieux urbanisés sont en grande partie composés de matières minérales de couleur foncée (asphalte, gravier, briques et béton), toutes ayant ce qu’on appelle de faibles albédos. Plus l’albédo est bas, plus la surface absorbe les rayons. Et plus un matériau absorbe les rayons du soleil, plus il accumule et émet de chaleur. La multiplication de ces surfaces (routes, aires de stationnement, toits goudronnés, murs de briques, etc.) est l’un des plus importants facteurs de création des îlots de chaleur. Ainsi, l’une des stratégies est d’augmenter l’albédo des surfaces en utilisant des matériaux plus clairs ou même de peindre en blanc certaines surfaces.
À Los Angeles, à titre expérimental, la ville a repeint ses rues à l’aide d’un enduit réfléchissant de couleur claire depuis mai 2017. Les premiers résultats sont prometteurs. Selon l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA), la diminution de la température dans une ville pourrait atteindre 0,6 °C si 35 % des rues étaient recouvertes d’un revêtement réfléchissant.
Dans le cadre du programme fédéral pour lutter contre les îlots de chaleur en ville, Sion a mis en place un projet pilote sur les revêtements routiers à la rue de la Dixence. Plusieurs types de revêtements routiers avec des teintes plus ou moins claires ont été testés durant l’été 2020. Un système de mesures de la température a évalué le comportement thermique des différents revêtements. Sion, l'une des villes de Suisse qui se réchauffe le plus, est une candidate naturelle au projet "Des revêtements routiers sans surchauffe". Résultats en cours d’analyse.
7. Créons de l’ombre
L’ombre est un moyen efficace pour rafraîchir la ville. L’ombre projetée par les arbres est la plus efficace, mais il y a d’autres manières de créer de l’ombre : les bâtiments ou des mesures techniques et architecturales, comme les toiles solaires, les toitures, les pergolas, les toits aériens, les pavillons, etc.
8. Réduisons la production de chaleur anthropique
Les différents articles de ce blog donnent des pistes concrètes pour réduire la production de chaleur due aux activités humaines. Des pistes liées notamment à la mobilité, à la production, ou encore à la construction demandant peu de climatisation, pourront vous aiguiller.
Genève met en place une politique globale pour réduire ses îlots de chaleur
Entretien avec Bojana Vasiljevic Menoud, cheffe du service d’urbanisme de la Ville de Genève
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur cette question ?
Nous nous intéressons à cette question depuis quelques années en lien avec le réchauffement climatique. Mais nous travaillons dessus intensément depuis une année, consécutivement à la déclaration d'urgence climatique du Conseil municipal et du Conseil administratif. Nous avions jusqu'à présent un manque de données scientifiques. Mais le Canton de Genève a mandaté une étude pour élaborer des cartes climatiques et a comblé ce vide. Cette étude a été publiée en décembre 2020, et des cartes sont disponibles sur le système d'information du territoire genevois (SITG). Cela fait maintenant quelques semaines que nous les analysons finement afin de mieux comprendre le phénomène d'îlot de chaleur urbain, dans la réalité d'aujourd'hui mais également dans l'avenir, vu que certaines cartes prennent en considération les projets prévus par les planifications ces prochaines années.
Qu’êtes-vous en train de mettre en place concrètement ?
La Ville de Genève est en train d'élaborer une stratégie climatique municipale qui devrait être rendue publique à l'automne 2021. Mais très prochainement et sans attendre la stratégie globale, le Conseil administratif a annoncé la mise en œuvre d'actions immédiates pour le climat pour 2021. Ces mesures concerneront aussi bien la population de la ville que l'administration municipale. Ainsi, le Conseil administratif a renforcé l'objectif d'ombrage en visant 30% de canopée d'ici 2025 pour le territoire municipal, mais cette mesure prendra forcément du temps. Dans l'immédiat, il est envisagé de créer trois micro-oasis de fraîcheur dans les quartiers où il fait le plus chaud, en partenariat avec le Canton (service du médecin cantonal et service du développement durable) et l'HEPIA. L'idée est de permettre aux personnes âgées notamment de continuer à sortir et à voir du monde même en temps de canicule. D'autres projets sont en réflexion notamment pour accroître la végétalisation et l'ombrage.
Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez été confrontés ?
Principalement, au niveau de la planification, nous étions confrontés à un manque de données scientifiques. L'îlot de chaleur est un phénomène complexe qu'il s'agit d'abord de bien comprendre. Ensuite, il est important de souligner que la question du climat urbain ne se limite pas à l'îlot de chaleur. Il y a d'autres paramètres à prendre en compte comme la chaleur diurne, le régime des vents, les générateurs de froid, etc.
Avez-vous imaginé un monitoring ?
Depuis une dizaine d'années nous faisons le monitoring de l'ensemble des politiques publiques à incidence spatiale. Nous avons mis en place un monitoring pour le Plan directeur communal et allons continuer à mesurer l'avancement de nos politiques et leur efficacité par rapport aux objectifs fixés.
Enfin, avec quels services collaborez-vous pour mettre en place une politique cohérente ?
La question de l’îlot de chaleur est complexe et implique forcément une collaboration transversale de nombreux services de l’administration. Je relèverais que le service de l’urbanisme collabore en priorité sur cette thématique avec le service des espaces verts, le service de l’aménagement, génie civil et mobilité, et le service de l’agenda 21.
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