Mises au point durant la fin du 19ème siècle, les technologies basées sur l'utilisation de l'air comprimé commencent à réapparaître dans le paysage énergétique actuel. Entre les laboratoires de recherche de l'EPFL et de l'HEPIA, une entreprise romande peaufine un dispositif aux applications intéressantes, même si des obstacles de taille persistent. Explications.
Et si on stockait et reproduisait de l’énergie avec de l’air comprimé ?
C'est un processus mécanique des plus simples, du moins à première vue. L'air comprimé consiste à mettre de l'air sous pression pour ensuite récupérer l'énergie dégagée lors de la phase de détente. Basé sur l'utilisation d'une ressource naturelle omniprésente, l'air, le principe intéresse à nouveau de près les acteurs technologiques et industriels dans leur quête de solutions énergétiques durables. Si certains obstacles restent à franchir, les progrès réalisés dans cette filière s'avèrent des plus encourageants, démontrant un potentiel plutôt méconnu. En Suisse romande, une start-up issue de l'Innovation Park de l'EPFL, qui a rejoint les laboratoires de recherche de l'HEPIA à Genève, avance gentiment mais sûrement vers la réalisation de prototypes de démonstration industriels. Son nom : Enairys Powertech.
« Les systèmes à air comprimé permettent d'entrevoir de nombreux potentiels en matière de stockage et de production d'énergie », souligne Sylvain Lemofouet, co-fondateur de l'entreprise. « Il y a une vingtaine d'années, alors que le débat durable mettait déjà en avant la nécessité de s'affranchir des technologies basées sur les hydrocarbures et les dispositifs électrochimiques, le professeur Alfred Rufer m'a proposé de le rejoindre à l'EPFL pour effectuer ma thèse de doctorat sur les systèmes fonctionnant à l'air comprimé. Aujourd'hui, après une longue phase de recherche et des améliorations qu'il a sans cesse fallu apporter pour tendre vers un rendement suffisamment important, nous sommes prêts à proposer notre technologie aux acteurs industriels et énergétiques. »
Comment ça marche ?
Concrètement, les systèmes à air comprimé classiques n'ont rien de particulièrement novateurs. Dès les années 1890, plusieurs villes ont d'ailleurs développé leur mobilité publique en misant sur des tramways mus par des moteurs à air comprimé. Dans les grandes lignes, le principe est assez simple : comprimer un gaz à une certaine pression pour exploiter l'énergie dégagée lors de la phase de détente. Seulement, dans la pratique, les choses se compliquent un peu.
« La compression d’un gaz, comme de l'air par exemple, dégage de la chaleur qui est généralement perdue dans le réservoir. Et lors de la détente le gaz se refroidit, ce qui limite la quantité d’énergie récupérée », poursuit Sylvain Lemofouet. « En termes d'efficience énergétique, la technique n'est donc pas très performante. Ce qui explique également que la mobilité s'est rapidement développée autour des moteurs thermiques et du pétrole. Cela ne veut pas dire que les moteurs thermiques étaient plus performants que les moteurs à air comprimé de l’époque, au contraire, mais qu'un litre d'essence contient bien plus d'énergie qu'un litre d'air comprimé. Nos recherches ont donc porté en grande partie sur la stabilisation de cette courbe de température qui intervient lors des processus de compression et de détente, afin de compenser le faible contenu énergétique de l’air comprimé par une plus grande efficacité de ces processus. »
Pour ce faire, Enairys Powertech a élaboré un ingénieux système cylindrique utilisant de l'eau. Au sein des chambres de compression, l'injection d'eau permet de refroidir l'air pendant la phase de compression, puis de le réchauffer lors de la détente. On maximise ainsi le rendement qui, aujourd'hui, atteint 60%. L'objectif étant de tendre vers 80% prochainement pour répondre au mieux aux besoins des marchés ciblés.
Applications et obstacles nombreux
Sur le terrain, ou plutôt sur les terrains devrait-on dire, la technologie a des potentiels intéressants, même si des obstacles sont encore présents. En ce qui concerne la partie stockage d’énergie, la problématique principale concerne les très grandes cavités souterraines dont il faut pouvoir bénéficier pour stocker l’air. Dans un rapport publié par l'OFEN en 2021 à propos des technologies de stockage de l’énergie, l'office fédéral indiquait à propos de l'air comprimé que "la construction de ce type d’installation nécessiterait des investissements élevés et la rentabilité de cette technologie de stockage n’est pas encore garantie à l’heure actuelle ou à moyen terme".
Malgré tout, l'entreprise ambitionne des applications de stockage d'électricité. Une innovation qui pourrait jouer un rôle-clé, notamment en agissant telle une batterie durable. Ce qui, dans le contexte de décentralisation de la production et de pics de production aléatoires, relativement aux conditions météorologiques et aux infrastructures durables telles que les panneaux photovoltaïques et les éoliennes, répond à un besoin de plus en plus important.
« Avec un générateur, notre système peut en effet se greffer sur le réseau pour convertir le surplus d'électricité produit en air comprimé que l'on va stocker avant de le détendre pour réinjecter du courant dans le réseau. »
Autre application : le domaine de la mobilité, et celui de la mobilité fluviale et lacustre en particulier. « Ce volet se décline en deux phases. Il s'agit d'une part de munir des embarcations de petite et moyenne envergure de moteurs à air comprimé actionnant directement le système de propulsion, soit les hélices. Ensuite, l'idée consiste également à munir les quais de différents ports stratégiques de mini-stations pour produire et recharger rapidement les réservoirs des bateaux en air comprimé lors d’escales. »
Enfin, Enairys Powertech développe aussi sa vision dans le domaine industriel en général, avec l'idée de fournir des compresseurs d’air industriels plus efficients, et donc une énergie propre dans des proportions importantes aux différentes filières énergétiques.
« Nous nous situons aujourd'hui précisément dans une phase de démonstration, en sortant du labo, pour nous confronter aux marchés que nous ciblons et à leurs principaux acteurs. Le rendement déjà atteint est prometteur, il reste désormais à injecter les fonds nécessaires à l'expansion de la technologie à grande échelle. »
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