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La vision tunnel carbone ou l’oubli des enjeux environnementaux

Forêt

Depuis le protocole de Kyoto en 1997, la majorité des engagements annoncés lors des rencontres internationales portent sur la réduction des émissions de carbone, notamment à travers des objectifs de neutralité.  Cette approche, bien qu’importante, se fait souvent aux dépens d’une approche plus holistique. À l’inverse, les experts mettent de plus en plus en avant le concept de « carbon tunnel vision », une approche centrée uniquement sur le carbone au détriment d’autres enjeux. Ceux-ci mettent en garde contre l’oubli de la biodiversité, de la santé des écosystèmes, et des aspects sociaux de la transition écologique.

L'essentiel en 3 points :

1

La « vision tunnel carbone » est une problématique actuelle qui se focalise sur la réduction des émissions de carbone au détriment des autres enjeux environnementaux. 

2

Ces enjeux environnementaux sont multiples et concernent les limites planétaires, dont seulement 3 sur 9 n’ont encore été dépassées.

3

Le volet social est indispensable à l’acceptabilité et l’accélération de la transition énergétique, et à l’amélioration de l’environnement. 

De l’énergie au carbone, un pas dans le bon sens ?

À la fin du 20ème siècle, lorsqu’une entreprise s’intéressait à son impact environnemental, son objectif n’était pas nécessairement de réduire ses émissions, mais plutôt de limiter la pollution et économiser l’énergie et les ressources. Les premières Conférences des Parties (COP), organisées dans les années 90, abordaient en effet les enjeux environnementaux de manière systémique. Avant même leur création, le Sommet de la Terre de Rio en 1992, qui a réuni les dirigeants mondiaux pour discuter des grands enjeux environnementaux, avait aussi souligné l’importance de la biodiversité, de la gestion de l’eau, et de l’ensemble des ressources naturelles. Cet évènement a créé une dynamique intégrée en faveur d’une meilleure gouvernance environnementale. Les débats se sont ensuite progressivement focalisés sur les émissions de gaz à effet de serre, depuis le protocole de Kyoto en 1997 jusqu’à la COP 21 en 2015. Pourtant, la vision pollution – énergie – ressources présente des avantages indéniables au regard de la durabilité.

Les raisons de ce revirement sont variées. Parmi les principales, le réchauffement climatique a surpassé les autres problèmes environnementaux, et le carbone est au cœur de cette thématique. Il est aussi facilement quantifiable, les entreprises pouvant ainsi communiquer sur la réduction de leurs émissions. Il constitue donc un indicateur-clé, mais insuffisant, pour la transition.

La vision tunnel carbone, qu’est-ce que c’est ?

La vision tunnel carbone est un terme utilisé pour décrier une approche de la lutte contre les dérèglements climatiques exclusivement orientée sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le concept a été introduit en novembre 2021 par Jan Konietzko, un chercheur en durabilité et fait l’objet d’un post sur LinkedIn.

Pour l’illustrer, parlons compensation. Un projet de compensation carbone consiste à financer des initiatives qui visent à réduire ou à séquestrer les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’objectif est de contrebalancer les émissions de CO2 produites par une activité en soutenant des projets qui absorbent ou évitent une quantité équivalente de CO2.

Les projets de plantation d’arbres sont fréquemment utilisés dans ces mécanismes de compensation, la séquestration du CO2 constituant un impact positif évident sur les dérèglements climatiques. Mais lorsqu’il s’agit de plantations de type monoculture, par exemple des forêts d’eucalyptus au Brésil, leur impact global sur l’environnement est beaucoup plus discutable : risque accru d’incendie, consommation excessive d’eau, perte de biodiversité, etc.

Jan Konietzko définit d’autres axes pour une transition durable, centrée sur la société et l’humain. Des problématiques sociales (pauvreté, partage des ressources, etc.) y côtoient des sujets environnementaux et sanitaires, comme l’écotoxicité ou la pollution de l’air. 

 

Tunnel carbone
 Illustration de la vision tunnel carbone ; source Cognizant, Jan Konietzko ; 
Traductions : écotoxicité, perte de biodiversité, pauvreté, eutrophisation, crise de l’eau, santé, éducation, émissions de carbone, rareté des ressources, inégalités, surconsommation, biens et services abordables, pollution de l’air

Considérer les limites planétaires 

Le concept de limites planétaires a été proposé en 2009 par une équipe internationale de 26 chercheurs, et vise à identifier les seuils que l'humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer (Wikipedia).

Le groupe d’experts a identifié 9 limites : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques, la modification de l’usage des sols, l’utilisation de l’eau douce, la pollution chimique, la diminution de la couche d’ozone, l’acidification des océans et l’augmentation des aérosols atmosphériques. Parmi celles-ci, seules les 3 dernières n’ont pas encore été dépassées. Réduire nos émissions de carbone ne suffira pas pour résoudre l’ensemble des problématiques liées à ces limites.

Tunnel carbone
Figure 1 Illustration des limites planétaires ; source stockholm résilience center ; traduction : Bon Pote ; crédit photographie © Bon Pote

Peut-on réaliser une transition durable sans considérations sociales ?

Dans un précédent article, nous avons abordé la question de la sobriété, et montré pourquoi elle ne pouvait pas se limiter à une démarche individuelle et volontaire. L’article aborde l’importance de la sobriété portée collectivement, par des règlementations et mécanismes financiers accompagnés d’un nécessaire volet social et solidaire. Nous avions cité quelques exemples applicables à l’échelle d’un pays comme la Suisse, mais une réflexion identique est au cœur des enjeux de la dernière COP et fait couler beaucoup d’encre : la redistribution des richesses nord-sud. Les pays du sud demandent le soutien des pays du nord pour assurer leur transition énergétique et s’adapter aux changements climatiques. Sans cette mesure sociale de redistribution, la transition est retardée et la sobriété forcée engendrée par les dérèglements (baisse des rendements agricoles, hausse des coûts d’adaptation et de réparation de dégâts liés aux évènements extrêmes) n’est pas tolérable pour les nations concernées. Les pays du sud reprochent aujourd’hui une insuffisance des fonds et l’absence d’engagement ferme, arguant que les pays ayant le plus contribué aux émissions historiques doivent assumer une plus grande responsabilité dans la transition climatique.

En résumé, quelles précautions prendre dans la transition énergétique pour éviter le tunnel carbone ?

La perception de la transition énergétique se limite souvent aux enjeux de décarboner notre système de production (énergies renouvelables) et d’augmenter l’efficacité énergétique (véhicules électriques et pompes à chaleur). Bien que cela soit indispensable, nous devons élargir cette perception en intégrant les volets environnementaux et sociaux. Voici quelques pistes :

1. Il est nécessaire de ne plus chercher à arbitrer entre énergies renouvelables et environnement, comme c’est souvent le cas dans les débats autour de la construction de grandes infrastructures. Ces projets doivent être conçus pour répondre aux deux enjeux.

2. Agir sur notre consommation, en quantité et en qualité, nous permet de réduire notre pression sur l’environnement et ne pas nous limiter à la réduction des émissions. Il est en effet important de ne pas chercher à atteindre l’abondance d’énergie verte qui provoquera des risques de surconsommation et d’utilisation irrationnelle des ressources.

3. La transition énergétique doit être sociale et solidaire ; elle doit préserver un accès à l’énergie et aux ressources pour les plus défavorisés, et ses bénéfices doivent participer à la réduction des inégalités. La tarification, l’imposition et l’encouragement sont des outils pertinents pour atteindre cet objectif.

La réduction des émissions doit constituer l’axe majeur pour la durabilité, mais…

Le dérèglement climatique, l’une des neuf limites planétaires, monopolise notre attention, alors que cinq autres sont dépassées. Mais alors, pourquoi concentrer autant d’efforts sur la seule réduction des émissions de carbone ?

Par les perturbations qu’il engendre, le dérèglement climatique accélère le franchissement des autres limites, comme l’a montré le récent épisode des crues à Valence. Il doit donc rester un axe majeur de nos politiques de durabilité. Cependant, il est essentiel de traiter la durabilité de manière globale, et que chaque projet de réduction des émissions soit analysé au regard de l’ensemble des limites planétaires et de ses impacts sociaux. Ces considérations doivent être au cœur de la conception et la gestion des infrastructures et territoires dès aujourd’hui.


En tant que source d'information, le blog de Romande Energie offre une diversité d'opinions sur des thèmes énergétiques variés. Rédigés en partie par des indépendants, les articles publiés ne représentent pas nécessairement la position de l'entreprise. Notre objectif consiste à diffuser des informations de natures différentes pour encourager une réflexion approfondie et promouvoir un dialogue ouvert au sein de notre communauté.

Florent Jacqmin
Rédigé par Florent Jacqmin · Expert indépendant

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