La notion d’effet rebond n’est pas nouvelle. Cependant, celle-ci peine à trouver une application concrète en matière de planification énergétique. Aussi, elle mérite de sortir des sphères académiques, non sans être d’abord quelque peu nuancée. Rappels théoriques avant les compléments apportés par Stefanie Schwab, ingénieure architecte SIA, et François Vuille, actuel directeur de la Direction de l’énergie (DIREN) et futur délégué cantonal à la transition énergétique.
L'effet rebond: ou comment le gain d'efficacité énergétique peut cacher une surconsommation
L'effet rebond correspond à une annulation des gains environnementaux obtenus grâce à une amélioration de l'efficacité énergétique d'un produit ou d’un service. Par exemple, un effet rebond de 40% signifie que 40% des économies d’énergies attendues grâce au déploiement d’une nouvelle technologie n’ont pas été réalisées en raison d’une hausse des usages de l’énergie liés à différents facteurs économiques ou comportementaux.
La différence entre les économies d’énergie attendues et celles effectivement réalisées est explicitée dans le graphique ci-dessous.
Calcul de l’effet rebond
Aussi appelé paradoxe de Jevons – en référence à William Stanley Jevons, économiste et logisticien britannique qui développa cette notion suite aux changements de comportement induits par la révolution industrielle –, ce phénomène décrit comment lorsque nous parlons d'accroître l'efficacité énergétique, il s'agit en fait d'augmenter la productivité. Et si on augmente la productivité d’un bien, on a pour effet de réduire son prix implicite, parce qu’on obtient plus de rendement pour le même argent, ce qui signifie que la demande peut augmenter elle aussi. Ce paradoxe montre clairement qu'il n'existe pas de solution miracle pour réduire la consommation d'énergie et lutter contre le changement climatique. Il souligne que les instruments de politique énergétique et climatique peuvent avoir des conséquences inattendues et doivent donc être accompagnés d'autres mesures pour être efficaces, telles que notamment une communication claire et une sensibilisation des citoyennes et citoyens, ainsi que des réglementations et/ou une fiscalité appropriée par exemple. Les dommages potentiels du paradoxe de Jevons sur les efforts en matière d'énergie nous obligent à utiliser une optique multidisciplinaire, qui reconnaît la complexité intrinsèque de l'élaboration des politiques et tient pleinement compte des forces économiques, sociales et comportementales impliquées dans le processus.
Le schéma suivant permet de mieux visualiser l’effet rebond en lien avec la rénovation énergétique d’un bâtiment. Celui-ci montre la chaîne de réactions que peut notamment entraîner l’amélioration énergétique.
Un autre exemple concret de l'effet de rebond est la manière dont les améliorations du rendement énergétique des voitures individuelles ont rendu la conduite moins chère, ce qui a incité certaines personnes à conduire davantage et à acheter de plus grosses voitures (effet direct) et/ou à dépenser les économies restantes dans l’achat d'autres produits, parfois à fort impact climatique et environnemental (effet indirect). En conséquence, les économies totales de carburant et d'énergie sont réduites. Dans ce dernier cas, on parle d'un effet de retour. Lorsqu'il s'agit d'aspects environnementaux plus larges que la seule consommation d'énergie, on parle d'un effet de rebond environnemental. Cette réinterprétation de l'effet de rebond énergétique original permet des évaluations plus larges ainsi que des résultats plus complets dans le contexte de l'évaluation environnementale.
L’avis de spécialistes
Afin de compléter cet article, deux spécialistes répondent à deux courtes questions concernant l’effet rebond et sa prise en compte dans les réalités politiques et opérationnelles. Stefanie Schwab (ingénieure architecte SIA) et François Vuille (actuel directeur de la DIREN) donnent leurs avis.
Est-ce que la notion d’effet rebond est intégrée à votre activité ? Si oui, comment ?
Stefanie Schwab : C’est un phénomène dont on tient encore peu compte dans les rénovations énergétiques des bâtiments. Cependant, l’on commence à constater un très grand décalage entre les gains énergétiques calculés et les gains énergétiques réels à la suite de travaux.
François Vuille : Seul l’effet rebond direct peut être intégré aux politiques publiques. En effet, l’effet rebond indirect passe au travers des mailles du filet et nous ne pouvons pas avoir d’emprise dessus.
Quelles sont les limites de cette notion, ainsi que les nuances à y apporter ?
Stefanie Schwab : Je pense que cette notion doit être obligatoirement liée aux questions sociologiques de changements de comportements. En effet, l’enjeu ici est de faire comprendre aux gens l’importance de ne pas augmenter la consommation générale lorsque l’on récupère de l’argent grâce à des avancées techniques.
François Vuille : Selon moi, cette notion va de pair avec la sobriété. La sobriété est encore trop souvent perçue comme une restriction de liberté. En réalité, elle permet une nette amélioration de la qualité de vie. Le jour où l’on arrivera à inverser cette perception, on luttera en même temps contre l’effet rebond.
L’effet rebond : une notion à nuancer grâce aux questions de changements de comportement
Bien que le concept d’effet rebond possède plusieurs déclinaisons, celles-ci ne demeurent que partiellement et difficilement incluses dans la pratique, comme l’explicitent les deux personnes interrogées. Cette notion démontre également les limites des innovations techniques en matière d’efficacité énergétique. Est-ce à dire que l’effet rebond met en lumière l’inutilité de ces efforts ? Ce raccourci semble quelque peu manichéen. Il convient plutôt de dire que l’amélioration technologique de ce que nous consommons en matière énergétique va dans le sens d’un meilleur usage des ressources, et que, pour être optimale, elle doit impérativement être accompagnée d’une meilleure compréhension de ce que sont les ressources ainsi que de l’importance d’adapter nos comportements de consommation vis-à-vis de ces dernières.
Liste des sources consultées pour la rédaction de cet article
- https://blog.romande-energie.ch/fr/comprendre-l-energie/105-les-action-ecologiques-le-sont-elles-toujours-pas-si-sur
- https://innoclimat.ch/wp-content/uploads/2022/11/InnoClimat2022_Vuille.pdf
- https://theothereconomy.com/fr/fiches/comprendre-leffet-rebond'
- https://unevenearth.org/2020/06/jevons-paradox/
- https://www.frontiersin.org/articles/10.3389
- https://www.letemps.ch/economie/energie/petit-manuel-sobriete-energetique
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