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Les énergies renouvelables et la stabilité du réseau

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La révision de la loi sur l’énergie acceptée par le peuple en 2017 a entériné la promotion des énergies renouvelables et l’arrêt progressif des centrales nucléaires actuelles tout en interdisant la construction de nouveaux réacteurs. La déconnexion définitive de la centrale de Mühlberg en décembre 2019 a marqué la première étape de la sortie du nucléaire. Or, ce mode de production d’électricité est encore aujourd’hui un pilier important de la production indigène. Ainsi, en 2019, plus de 35% de l’électricité produite en Suisse était issue de l’atome, soit un peu moins de 9 milliards de kWh. À titre de comparaison, la production des énergies renouvelables, en dehors de l’hydraulique, représentait un peu plus de 4% de la production d’électricité du pays. Réduire la consommation ou déployer suffisamment de nouvelles centrales renouvelables pour compenser l’arrêt programmé de la production nucléaire ne sera pas chose facile. Mais la problématique de la transition énergétique ne se limite pas à la seule production d’électricité. Encore faut-il acheminer cette production jusqu’aux consommateurs finaux grâce au réseau électrique. Or, ici aussi, l’intégration des énergies renouvelables pose de nombreux défis, notamment du point de vue de la stabilité du réseau.

Qu’est-ce que la stabilité du réseau électrique ?
Dans le langage courant, la notion de stabilité se réfère à la capacité d’un objet ou d’un système à ne pas s’écarter d’un état donné. Dans le contexte des réseaux électriques, cet état à maintenir se caractérise par deux valeurs particulièrement importantes : la fréquence et la tension.

Dans l’immense majorité des réseaux, l’électricité est transportée sous la forme d’une onde alternative, soit une succession de « creux » et de « vagues » se propageant le long des câbles électriques. La fréquence d’un réseau électrique reflète le nombre de répétitions de cette onde en une seconde. En Suisse comme en Europe, cette valeur est de 50 Hz, soit 50 répétitions par seconde. Cette valeur est constante tout le long du chemin que suit l’énergie électrique, depuis l’alternateur d’une centrale hydraulique jusqu’à la prise que nous connaissons toutes et tous.

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La tension électrique définit elle l’amplitude des « creux » et des « vagues ». Contrairement à la fréquence, cette valeur change plusieurs fois entre les lieux de production et de consommation. Ainsi, pour des raisons d’efficacité, l’électricité est transportée sur de grandes distances à haute tension, répartie à l’échelle d’une région à moyenne tension avant d’être acheminée aux consommateurs finaux à basse tension. En Suisse, ces multiples changements correspondent aux niveaux du réseau électrique définis par SwissGrid, l’opérateur national. Néanmoins, même si la tension n’est pas unique au sein du réseau électrique, chaque point de ce dernier est caractérisé par une valeur bien définie. Les gestionnaires de réseaux électriques appellent cela le plan de tension.

Ce plan de tension et la fréquence de fonctionnement doivent être maintenus aussi constants que possible afin de garantir le bon fonctionnement du réseau électrique et la sauvegarde des appareils, et ce malgré les nombreuses et incessantes perturbations qu’il rencontre. La stabilité d’un réseau électrique dénote ainsi sa capacité à limiter l’impact de ces perturbations sur les valeurs de la fréquence et de la tension. Plus un réseau est stable, moins ces grandeurs s’écarteront de leurs valeurs nominales pour une perturbation donnée. À l’inverse, moins un réseau est stable, plus une perturbation sera susceptible d’amener les valeurs de la fréquence et de la tension aux limites de fonctionnement du système et de créer ainsi une panne. La stabilité du réseau électrique est donc un élément clé de la sécurité d’approvisionnement.

Pourquoi les énergies renouvelables impactent la stabilité ?
La fréquence du réseau est directement liée à l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité, et ceci à chaque instant. Si, à un instant donné, la consommation dépasse la production, la fréquence va diminuer. À l’inverse, si la production est excédentaire, la fréquence augmente. La différence entre les quantités d’énergie injectée et soutirée du réseau doit donc être maintenue aussi faible que possible pour garantir la stabilité du réseau en ce qui concerne la fréquence. Il est donc nécessaire de pouvoir prévoir ces quantités et de pouvoir agir sur elles.

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Pour ce qui est de la consommation finale d’électricité, elle est difficilement contrôlable à large échelle. Il faudrait pour cela disposer de moyens permettant d’enclencher ou de déclencher certains consommateurs. Même si ce principe, appelé « gestion de la demande » (ou demand-side management dans la littérature technique) est déjà appliqué à l’échelle locale, on lui préfère encore actuellement des incitations financières telles que des tarifs « heures pleines/heures creuses » à l’échelle globale. En revanche, il est possible de prévoir relativement précisément la consommation en se basant sur des données historiques.

En ce qui concerne la production d’énergie, le problème se complexifie quelque peu avec l’intégration des énergies renouvelables. En effet, la production issue de ces sources d’énergie varie avec les conditions météorologiques. C’est particulièrement vrai pour les productions éoliennes et photovoltaïques. Des modèles de prédictions météorologiques spécialement développés dans ce but permettent aujourd’hui de pallier cette difficulté. Ils ne sont malheureusement d’aucune aide pour ce qui touche au contrôle de ce type de production.

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Dans le cas du photovoltaïque et de l’éolien, il est ainsi uniquement possible de diminuer la production en cas d’excédent (on parle alors d’écrêtage), mais pas d’augmenter celle-ci pour répondre à une croissance de la demande en énergie. Ce type de production d’énergie présente donc une contrôlabilité « à sens unique » qui complique passablement le maintien de l’équilibre entre la consommation et la production d’électricité. Ce constat est d’autant plus vrai lorsque l’on compare ces sources renouvelables à des productions thermiques conventionnelles, telles que les centrales à gaz, qui présentent une très grande flexibilité.

Le déploiement à large échelle des énergies renouvelables, et plus particulièrement du photovoltaïque, impacte la stabilité de la fréquence du réseau d’une seconde manière : il en diminue l’inertie. Dans le cas d’un réseau électrique, cette grandeur peut être définie comme le rapport entre la variation de la fréquence, causée par le déséquilibre entre la production et la consommation, et l’importance de ce déséquilibre. Plus un réseau possède une inertie importante, moins sa fréquence est impactée par une différence entre l’énergie injectée et l’énergie soutirée. Cette notion d’inertie est donc particulièrement importante dans le contexte de la stabilité de la fréquence. Or, cette grandeur est directement liée aux nombres et à la taille des alternateurs utilisés pour la production d’électricité. Ces alternateurs, basés sur des machines tournantes, sont notamment utilisés dans les centrales de production thermique (gaz, charbon, nucléaire) et hydraulique, où ils sont directement connectés au réseau et participent à sa stabilité. Dans le cas des centrales solaires et éoliennes, la production est injectée dans le réseau au travers de circuits électroniques qui ne présentent aucune inertie et ne participent donc pas à la stabilité du réseau. Actuellement, ce problème reste encore marginal, plus particulièrement en Suisse où la production hydraulique représente plus de 55% de la production annuelle.

Finalement, l’intégration des énergies renouvelables est susceptible d’impacter la stabilité du réseau d’une troisième manière : en modifiant le plan de tension. Les réseaux de distribution électrique sont des infrastructures nécessitant des investissements très importants. Ils sont donc conçus pour durer plusieurs décennies. La conception des réseaux d’aujourd’hui date ainsi d’un certain nombre d’années, à une époque où la production d’électricité était réalisée de manière centralisée. L’électricité était très majoritairement produite dans un nombre restreint d’installations de grandes tailles avant d’être acheminée vers les consommateurs finaux. L’énergie ne voyageait ainsi que dans une seule direction : des centrales aux consommateurs. L’intégration des nouvelles énergies renouvelables modifie ce paradigme. Ces modes de production se caractérisent par un nombre élevé de petites unités de production réparties géographiquement. À titre d’exemple, à la fin de l’année 2019, la Suisse comptait environ 100'000 installations photovoltaïques totalisant une puissance de 350 MW, soit à peine plus que la seule centrale nucléaire de Mühlberg, la plus petite de Suisse, qui présentait une puissance de 335 MW.

Cette répartition de la production d’électricité est susceptible d’engendrer des inversions locales de la direction des flux d’énergie. Certaines lignes qui présentent normalement des chutes de tension dues à un courant s’écoulant dans un sens peuvent ainsi présenter momentanément des élévations de tension lorsque ce courant est dirigé dans l’autre sens. Le réseau n’ayant pas été conçu en tenant compte de cette situation, il n’est pas toujours possible de réagir à ces perturbations et celles-ci peuvent alors engendrer des pannes si l’impact sur la tension perdure ou est trop important.

Des solutions existent
Ces inconvénients des énergies renouvelables ne sont pas des fatalités. Des solutions technologiques, reposant essentiellement sur la flexibilité et le stockage, existent. Stocker l’excédent de production renouvelable présente plusieurs avantages. Le premier est de donner une alternative à l’écrêtage et de limiter ainsi les pertes d’énergie. Le second, et peut-être le plus important, est que le stockage apporte aux énergies photovoltaïque et éolienne de la flexibilité. Ces systèmes peuvent être chargés et déchargés au gré des variations de production et de consommation et permettent donc de maintenir plus facilement l’équilibre nécessaire à la stabilité de la fréquence du réseau. La variété des technologies de stockage d’énergie, des batteries aux centrales de pompage-turbinage, permettent de couvrir les différents cas d’utilisation : stockage local ou national, journalier ou saisonnier, etc.

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La digitalisation des différents secteurs de l’énergie apporte également des éléments de réponses. Les énormes progrès réalisés dans les domaines de la mesure, de la transmission, du stockage et de l’analyse des données permettent d’obtenir une vision beaucoup plus fine de l’état du réseau et d’agir plus rapidement et plus précisément faces aux perturbations évoquées plus haut. Cette évolution technologique permet également de faire se rencontrer différents secteurs de l’énergie, l’électricité, le chauffage, la mobilité, et de mettre à profit leurs complémentarités pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables. Cette approche est connue sous la dénomination de convergence des secteurs.

Toujours sur le plan de la complémentarité, la diversité des sources renouvelables est également un atout. En Suisse, fort ensoleillement et vent important sont, en règle générale, opposés. Ainsi, la répartition saisonnière traditionnellement retenue pour le solaire est de deux tiers en été (entre avril et septembre) contre un tiers en hiver (entre octobre et février). Or, cette répartition est quasiment exactement inversée pour l’éolien. Ainsi, le développement d’un mix énergétique varié et complémentaire permet de limiter les variations de production et donc l’impact sur le réseau.

En ce qui concerne la stabilité de la tension, les énergies renouvelables peuvent également fournir une partie de la solution. Les circuits électroniques, appelés onduleurs, interfaçant les modules photovoltaïques avec le réseau comportent des fonctionnalités intéressantes dans ce contexte. Pour les modèles les plus avancés, il est possible de modifier leur point de fonctionnement de manière à ce qu’ils maintiennent la tension du réseau à leur point de connexion en injectant ou soutirant de la puissance réactive. En Suisse, un projet pilote de l’OFEN mené à l’échelle d’une usine validant ce concept a récemment abouti.

Conclusion
Il est indéniable que l’intégration des énergies renouvelables comporte un défi du point de vue de la stabilité du réseau électrique. En comparaison des centrales thermiques classiques, elles se caractérisent par une prévisibilité et une contrôlabilité réduite. Mais elles présentent l’avantage incontestable de réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre. De plus, elles ne s’appuient pas sur des importations de matières premières mais utilisent des ressources locales. Elles s’inscrivent dans une vision bien plus durable du secteur de l’énergie. Leur intégration dans le système énergétique suisse, et même mondial, doit donc être perçue comme une évolution technologique permettant de contribuer à la décarbonisation de la production d’électricité plutôt que comme un problème insoluble. Ceci est d’autant plus vrai que des solutions existent et que celles-ci sont parfois même issues de ces mêmes énergies renouvelables.

Christian Rod
Rédigé par Christian Rod · Spécialiste énergie

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