Le prix de l’électricité dépend de nombreux facteurs, indépendamment des coûts de production d’une filière en particulier. Appelé « merit order », le système qui fixe les tarifs du courant heure par heure s’inscrit dans une démarche globale, propre au marché européen, qui prend en compte les coûts de toutes les filières. Ainsi, même l’énergie provenant d’une infrastructure renouvelable est impactée au niveau de son prix par la valeur des hydrocarbures encore largement utilisés pour produire le courant dont on a besoin. Explications.
Tarification de l’électricité, comment ça marche ?
Cela n’aura échappé à personne, le prix de l’énergie s’est envolé. Une forte augmentation que l’on peut bien sûr directement corréler au conflit en Ukraine. En très forte hausse, le prix des hydrocarbures, conjugué à l’importante demande énergétique hivernale, engendre des coûts de production électrique de plus en plus élevés. En témoignent les centrales à charbon et à gaz qui gonflent la tarification du courant en suivant le principe du « merit order », rouvertes à la hâte suite à l’anticipation de la pénurie alors que l’Europe commençait à les fermer, tout comme les centrales nucléaires françaises dont le long redémarrage a fait passer l’Hexagone d’exportateur à importateur.
Pour mieux comprendre cette dynamique énergétique et économique complexe, Clarisse Martin, spécialiste en gestion de portefeuilles énergie chez Romande Energie, nous donne ses explications. Interview.
Le prix de l’électricité est déterminé quasiment en continu en suivant le principe du « merit order ». De quoi s’agit-il ?
Ce système élaboré depuis longtemps par les économistes permet de déterminer le prix de l’électricité ou encore celui de différentes matières premières. Seulement, la spécificité du marché de l’électricité repose sur le fait que le courant ne se stocke pas, ou du moins très peu. Contrairement aux matières premières, dont la possibilité de les stocker permet de déterminer un prix fixe sur une base quotidienne, l’électricité est en flux constant. Son prix varie donc d’heure en heure. Pour le déterminer, le principe du merit order consiste à prendre en compte les coûts variables liés à toutes les filières de production électrique. Pour simplifier, donnons un cas de figure schématique dans le marché des matières premières. Imaginons que le marché du pétrole soit occupé par deux producteurs seulement. L’un bénéficiant d’infrastructures de production efficientes et peu coûteuses, l’autre d’installations vétustes et chères à l'utilisation. Le prix du baril de pétrole va alors être déterminé par le coût de production le plus élevé, soit celui du producteur ayant une installation moins performante. Pour l’autre, cela lui permet de vendre sa production en faisant une grande marge. Et pour le producteur à l’installation vétuste, ce système plutôt solidaire l’incite à investir pour moderniser son installation et réaliser une meilleure marge.
Comment se transpose cette dynamique dans le cas du marché de l’électricité ?
De la même manière, il s’agit de prendre en compte les coûts variables de toutes les filières impliquées dans la production d’électricité. Et cet exercice est répété chaque heure, en prenant en compte le moment durant lequel va être consommé le courant. Ainsi, dans le contexte actuel, avec des centrales à charbon et à gaz qui produisent du courant à un coût élevé, en grande partie en raison de l’envolée du prix des hydrocarbures, c’est tout le marché de l’électricité qui se voit impacté à la hausse.
Qu’en est-il des coûts liés à l’exploitation d’infrastructures de production renouvelables ?
Le photovoltaïque, l’éolien et l’hydraulique bénéficient de coûts de production faibles. Contrairement aux hydrocarbures, dont les prix oscillent selon les dynamiques géopolitiques et économiques, le soleil, le vent et l’eau ne coûtent rien en tant que « matières premières ». Économiquement parlant, l’exploitation d’infrastructures renouvelables repose donc essentiellement sur l’investissement de départ nécessaire à la construction des installations et leurs faibles coûts de maintenance et d’entretien.
La période actuelle est donc particulièrement favorable aux producteurs d’énergie renouvelable ?
En effet. Leurs coûts de production sont faibles en comparaison avec ceux des filières qui dépendent du prix des hydrocarbures alors que, comme expliqué, le prix de l’électricité se calcule sur la base du courant le plus cher à produire. Les filières durables font donc actuellement de grands bénéfices. Pour ne pas trop dérégler le système, et continuer à favoriser une approche plutôt solidaire, les autorités européennes ont tout de même fixé un seuil de revente maximum du courant à 180 € le mégawattheure pour les filières durables. Ainsi, avec un prix de l’électricité qui oscillait aux alentours de 300 € le mégawattheure, ces filières remboursent 120 € à la politique énergétique européenne. Ce bouclier tarifaire permet notamment de soutenir les industries touchées de plein fouet par l’augmentation du prix de l’énergie.
Cet écart entre la rentabilité des producteurs durables et les exploitations coûteuses risque-t-il de pousser les filières productrices polluantes à améliorer leur rendement dans l’optique d’accroître leur marge ?
Pas vraiment dans le sens où ces filières, même si elles parvenaient à être plus efficientes, dépendent toujours du prix des hydrocarbures d’une part, mais aussi des certificats de CO2 qu’elles doivent acheter pour compenser leurs émissions de carbone.
Et qu’en est-il du nucléaire ?
Les grandes centrales françaises qui ont été fermées accentuent la dépendance du marché aux coûts de production élevés des autres filières, à savoir celles du gaz et du charbon. Les plans de relance entrepris par l’Hexagone vont prendre du temps et la donne actuelle a ainsi fait passer le pays d’exportateur à importateur. En termes de coûts de production, la filière nucléaire représente le deuxième segment le plus compétitif après les exploitations renouvelables qui rassemblent le solaire, l’éolien et l’hydraulique.
Pour revenir à la mécanique du merit order, ce système ne constitue-t-il pas une forme d’injustice économique pour des pays disposant de grandes infrastructures durables, comme la Suisse avec l’hydraulique par exemple ?
Le système du merit order est majoritairement apprécié lorsque les prix de l’énergie sont bas, et critiqué lorsqu’ils grimpent. Il reste cependant le système le plus solidaire que l’on ait pu mettre en place. Et le plus fonctionnel également, puisqu’il permet de se mettre d’accord sur un prix de l’électricité déterminé heure par heure. Pour un pays comme la Suisse, dont la force hydraulique constitue un point fort tant en termes énergétiques qu’économiques, il faut garder à l’esprit que le marché reste européen. On ne peut donc pas faire sans. En même temps, les atouts écologiques et financiers des filières durables restent limités puisque ce type d’exploitations ne peut pas absorber la totalité de la demande énergétique. Sans parler des aléas météorologiques avec lesquels il faut composer. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que le système du merit order peut parfois engendrer un effet un peu pervers. À savoir le fait que certains producteurs peuvent être tentés de maintenir des filières énergétiques polluantes coûteuses, tant économiquement que durablement, pour garder une certaine pression sur les prix globaux et les pousser ainsi à la hausse.
Enfin, que dire des prévisions pour l’année prochaine, jusqu’à quand devrait durer cette situation de cherté de l’énergie ?
Difficile de le prédire avec exactitude. Mais le conflit actuel ne donne que peu de signes d’accalmie, ce qui devrait malheureusement continuer à peser sur notre système énergétique. Au niveau saisonnier, nous devrions tout de même voir une légère baisse des tarifs en été en raison de la diminution de la demande et de l’augmentation du courant produit de manière durable.
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