Les petites centrales de production d’énergie renouvelable, situées à proximité des consommateurs finaux, s’opposent à la production centralisée qui prédominait jusqu’alors. Un profond changement de paradigme qui amène défis et opportunités.
Défis et opportunités de la production décentralisée
Portée par les ambitions de la Stratégie énergétique 2050, la production d’énergie verte et locale a le vent en poupe. Si le Conseil fédéral entend augmenter la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables indigènes, il s’agit également de l’intégrer dans le marché de l’électricité tout en renforçant notre sécurité d’approvisionnement. Dans ce contexte, Valérie Bourdin, porte-parole de l’Association des entreprises électriques suisses (AES), le rappelle : chaque kilowattheure vaut de l’or ! « Si le solaire et l’éolien ne représentent encore que 4% dans le mix énergétique, ils doivent dans le futur multiplier par 10 leur production. Toutes les sources d’énergie comptent, même celles qui semblent insignifiantes. » Ainsi, les petits producteurs jouent un rôle essentiel dans cette ambitieuse et nécessaire transition énergétique.
Un nombre croissant de petites centrales, principalement photovoltaïques (pour des raisons d’accessibilité en termes de réalisation et d’acceptabilité des installations), s’ajoutent aujourd’hui à une production essentiellement centralisée, c’est-à-dire réalisée au moyen d’installations de grande capacité (centrales nucléaires, grands barrages hydroélectriques par exemple) et organisée autour de grands réseaux de transport (liaisons très haute tension THT). Les défis sont bien réels : il s’agit en effet de réduire les importations d’électricité d’énergie non renouvelable (charbon principalement), d’augmenter la production indigène d’énergies renouvelables, d’assurer notre autonomie énergétique et d’améliorer l’efficacité énergétique, sans oublier de rallier la population au mouvement. Tout un programme, dont voici le menu.
Les défis de la production décentralisée
- La sécurité d’approvisionnement. La Stratégie énergétique 2050 le mentionne clairement : plus la quantité d’énergies renouvelables disponible est importante, moins la Suisse dépend des importations d’énergies, dont fossiles. Le premier défi tient en un mot : autonomie. Sur le papier, la chose semble évidente ; dans la pratique, elle l’est nettement moins. Pourquoi ? Lorsque le soleil vient à manquer, en hiver notamment, nous importons de l’énergie des pays voisins (principalement d’Allemagne et de France), verte si possible. Toutefois, tout comme nous, les pays limitrophes ambitionnent de sortir des énergies fossiles et veillent à leur propre approvisionnement en énergies renouvelables avant de nous fournir. Une réflexion formulée en 2011 déjà par L’Académie suisse des sciences techniques (SATW) dans son document intitulé « Les défis jalonnant le chemin vers un plein approvisionnement » qui est toujours d’actualité : «Importer des énergies renouvelables est envisageable si les pays producteurs présentent des surplus qu’ils ne peuvent pas utiliser de manière avantageuse sur le plan économique pour leur propre approvisionnement. (…) Ils utiliseront leurs énergies renouvelables en premier lieu pour couvrir leurs propres besoins. ». Voilà pourquoi la question d’une production d’énergies renouvelables indigène est centrale. Au niveau des petites productions, le solaire et l’éolien sont priorisés. Mais si le soleil fait sa place, le vent peine encore à séduire.
- Les résistances citoyennes. Valérie Bourdin, de l’AES, résume bien la situation : « Tout le monde veut du renouvelable, mais personne ne veut une éolienne devant son jardin. » Et pourtant, le vent apporte de bonnes réponses en hiver, lorsque l’énergie solaire vient à manquer. L’Allemagne l’a bien compris, elle qui affiche 27% de production d’électricité via les sources éoliennes en 2020, contre 0,2% en Suisse, selon les chiffres publiés par Suisse Eole. Ainsi, l’Association pour la promotion de l’énergie éolienne en Suisse évoque quelque 7000 éoliennes dans les régions limitrophes (dont environ 430 en Bourgogne-Franche-Comté, 730 dans le Bade-Wurtemberg, 1200 en Bavière et 1340 en Autriche), alors que la Suisse en compte actuellement… 42 ! « Pourtant, avec 1000 éoliennes en Suisse, nous pourrions couvrir 20% de la consommation actuelle de courant en hiver, quand l’hydraulique et le solaire produisent moins, mais que la demande connaît un pic », indique Lionel Perret, directeur de Suisse Eole. Il ajoute que l’électricité éolienne générée en Suisse est directement injectée dans notre réseau et nous appartient, contribuant ainsi à la sécurité d’approvisionnement. La boucle est bouclée. Et pour reprendre les propos de Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie et activiste pour le climat : « J’entends bien les cris de ceux qui ne veulent pas d’éoliennes près de chez eux. Mais quand il y a le feu et que nos vies en dépendent, est-ce qu’il est vraiment nécessaire de chipoter sur la tenue du pompier ? ».
- Le réseau. S’il y a un facteur décisif pour réussir la transformation de l'approvisionnement en électricité, c’est le réseau. Développé et interconnecté depuis plus d’un siècle, il doit être adapté aux réalités actuelles et à venir.
- Aller-retour : le réseau était initialement prévu pour aller essentiellement dans un sens (de la production à la consommation). Avec des consommateurs-producteurs, il doit aujourd’hui fonctionner en flux aller-retour.
- Lisser les pics d’injection : l’encouragement à l’autoproduction représente un enjeu au niveau du réseau, qui peut être surchargé à certaines périodes et à certains endroits, et manquer à d’autres. Si on compare le réseau de distribution électrique à notre système veineux, il s’agit d’éviter les thromboses.
- Autoproduction et coûts de l’électricité : L’énergie qu’un autoproducteur consomme directement ne lui coûte rien. Toutefois, la plupart d’entre eux ne consomme pas l’entier de leur production, et pour cause : si la période de production du photovoltaïque est concentrée sur des moments spécifiques, les besoins en électricité sont répartis sur 24 heures et tout au long de l’année. La partie de la production d’électricité injectée sur le réseau donne lieu, en général, à une rétribution au propriétaire de l’installation. L’électricité consommée lorsque l’installation fournit une énergie insuffisante provient ensuite du réseau et génère des éléments de coût liés à sa gestion et son entretien.
Regroupements et communautés d’autoconsommateurs
Plusieurs consommateurs peuvent aujourd’hui se réunir pour produire et consommer leur propre électricité, afin d’augmenter leur part d’autoconsommation. Clarifions quelques termes induits par les nouveaux systèmes de production et de consommation.
AUTOPRODUCTEUR
On appelle autoproducteur toute personne bénéficiant de sa propre installation de production d’énergie. Il est généralement également autoconsommateur, en ce sens qu’il consomme l’énergie produite.
AUTOCONSOMMATEUR
On appelle autoconsommateur toute personne consommant sa propre énergie (il est alors également autoproducteurs) ou celle produite par un regroupement ou une communauté. Plusieurs autoconsommateurs peuvent profiter de l’énergie partagée par un ou plusieurs autoproducteurs.
REGROUPEMENT D’AUTOCONSOMMATEURS (RCP)
Un RCP réunit des autoproducteurs et des autoconsommateurs autour d’un ou plusieurs bâtiments voisins. Les autoproducteurs peuvent partager l’énergie qu’ils produisent avec des autoconsommateurs.
Le plus : dans le cadre d’un RCP, les consommateurs peuvent dépasser les 100 000 kWh par année, en additionnant leur consommation d’énergie. Ils peuvent ainsi, s’ils le souhaitent, passer sur le marché libre de l’électricité et profiter de prix intéressants pour acheter l’énergie qui leur manquerait.
COMMUNAUTÉS D’AUTOCONSOMMATEURS (CA)
Une CA réunit plusieurs autoconsommateurs autour de la production d’un unique bâtiment (contrairement au regroupement qui peut réunir les consommateurs de plusieurs bâtiments).
Le plus : la constitution d’une communauté d’autoconsommateurs n’implique le plus souvent pas de changements d’équipements. De plus, chaque membre de la communauté reste, aux yeux du GRD, un client individuel, et peut décider de quitter la CA en tout temps.
Pour découvrir ce sujet plus en détails, téléchargez le livre blanc de Romande Energie consacré aux regroupements et communautés d’autoconsommateurs.
Un petit village tessinois mène un projet novateur
L’exemple de Lugaggia illustre à lui seul les opportunités offertes par une approche commune de production d’énergie. Le petit village tessinois mène actuellement un projet de recherche : 18 maisons d’habitation, une école enfantine et une batterie de quartier ont été interconnectées. Le projet pilote associe les riverains à la réflexion et intègre des compteurs d’électricité dits intelligents pour optimiser l’autoconsommation dans le quartier. Deux méthodes y sont testées : un système centralisé, un autre décentralisé. La première année, la consommation d’électricité (mise en marche des chauffe-eau ou des pompes à chaleur) sera réglée via une plateforme centralisée et en s’appuyant sur des algorithmes connectés à la station météorologique du quartier. La seconde année, les compteurs intelligents individuels des ménages communiqueront directement les uns avec les autres. Le souhait est de décharger le réseau et d’économiser de l’argent, mais aussi d’acquérir des connaissances du terrain au service de la recherche. Le quartier qui fonctionne à l’électricité solaire continuera d’être exploité après les deux années de recherche, sous la forme d’une communauté énergétique.
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