L’espace est un bien précieux : pour ne pas nous étaler encore plus et détruire les zones naturelles qui doivent être préservées, il est essentiel de faire bon usage de l’espace que nous avons déjà urbanisé. Il s’agit donc de construire des villes et des villages denses, mais qui soient agréables et accueillants : qu’ils offrent de la nature, des lieux pour les rencontres, les loisirs, la culture, etc. Mais ces villes et ces villages, aussi bien bâtis soient-ils, vivent : des activités s’y créent, d’autres s’arrêtent. Par le passé, nous nous étalions et bâtissions à chacune des nouvelles activités souhaitées et laissions passer parfois des années avant de réutiliser des espaces laissés vacants. Aujourd’hui, l’idée est d’utiliser et de faire revivre temporairement tous ces espaces inutilisés, et ils sont nombreux. C’est ce qu’on appelle l’urbanisme transitoire, ou l’occupation transitoire.
L’urbanisme transitoire permet d’optimiser l’utilisation de notre espace bâti
L’urbanisme transitoire ?
C’est une activité transitoire qui s’intercale entre une ancienne affectation (industrie, gare, hôpital, local d’entreprises ou d’artisanat, cinéma, hangars, etc.) et une nouvelle affectation (nouveau quartier, centre culturel, etc.). Il peut s’agir de bâtiments laissés vides, d’espaces non bâtis inutilisés, d’espaces laissés libres suite à une démolition. Les activités transitoires possibles sont nombreuses. Idéalement, elles devraient répondre aux besoins et envies des acteurs du quartier (activités sportives, jardinage, bureaux, lieu de spectacles ou de création, etc.) ; répondre à des politiques publiques locales (créer un refuge de biodiversité, faciliter le maintien d’activités productives en milieu urbain, donner plus de place à la mobilité douce, etc.) ; et créent une dynamique qui préfigure et teste en partie la future affectation du lieu. Ces activités peuvent s’installer quelques heures ou quelques années : le projet de recherche Zone imaginaire a montré que les phases d’utilisation temporaire dans des friches industrielles suisses duraient en moyenne treize ans, ce qui est généralement plus longtemps que ce qui était envisagé à l’origine. Une caractéristique forte des affectations transitoires est qu'elles font intervenir un nombre supérieur à la moyenne d'acteurs et d'entreprises issus de l'industrie créative. Ils sont en effet 40 % dans les zones urbaines affectées provisoirement contre une moyenne globale suisse de 11 %. En outre, le taux de création d'entreprises y est élevé : plus de 30 % de tous les utilisateurs transitoires sont des sociétés qui ont été fondées sur place. L’urbanisme transitoire permet de créer des tranches de villes plutôt que d’en consommer.
Qui et comment faire revivre ces sites ?
Ces projets peuvent se créer de façon top down ou bottom up. Les propriétaires peuvent en effet décider de mettre à disposition l’espace pour des activités techniquement possibles, financent ou non les aménagements nécessaires et louent ou mettent à disposition l’espace le temps de la transition. Mais les propriétaires ne sont pas les seuls à pouvoir initier de tels projets : des habitantes et habitants, associations, start-ups ou collectivités publiques peuvent elles aussi proposer des projets et les négocier avec les propriétaires de lieux vacants.
Les nombreux apports de l’urbanisme transitoire
Pour les propriétaires - idéalement, les propriétaires utilisent ce temps de transition pour identifier et tester certaines activités imaginées dans leur projet définitif, et les évaluer. Cela permet de positionner déjà leur projet sur une thématique qu’ils souhaitent développer, voir ce qui marche bien et moins bien et disposer déjà de futurs partenaires et clients. Cela leur permet également de donner une image positive du lieu, d’éviter la déprédation de l’espace et le sentiment d’insécurité engendrés par un espace abandonné, de réduire les coûts de surveillance, de bénéficier d’un loyer, même modeste, et enfin de créer une vie qui pourrait perdurer.
Pour les porteurs de projets - que ce soit pour des projets collectifs ou individuels, à but lucratifs ou non : disposer d’un espace pour y déployer ses projets, souvent à moindre coût, et dans un laps de temps qui permet de tester son projet favorise la créativité, l’entrepreneuriat et l’innovation sociale.
Pour les habitantes et habitants – bien-sûr, ces projets améliorent la qualité de vie d’un quartier, favorisent le lien social et permettent de nouvelles activités proches de chez soi.
Plusieurs guides accompagnent la réalisation de tels projets
Guide sur les affectations transitoires destiné aux propriétaires, investisseurs, promoteurs immobiliers, collectivités, utilisateurs intermédiaires.
« Les aménagements urbains transitoires : Enjeux et guide pratique pour un espace urbain partagé ».
Bien que temporaires ou démontables, les constructions doivent faire l’objet d’autorisations et de mises aux normes. Règles locales d’urbanisme, règles d’accessibilité, changement d’affectation d’un bâtiment… Les aménagements qui vont laisser place à des projets définitifs doivent respecter des règles et des normes, au même titre que les constructions pérennes.
Conseils sur les exigences que doivent respecter les affectations transitoires.
Coup de projecteurs sur deux projets romands
Interview d’Etienne Räss, directeur de la Fabrique de Malley et instigateur du projet LA MALLEYTTE
Le quartier de Malley, partagé entre les communes de Prilly et de Renens et propriété de la Ville de Lausanne, est en pleine transition. Cette ancienne friche industrielle destinée d’abord à la transformation de gaz puis utilisée pour les abattoirs de la ville, accueillera bientôt un futur quartier durable. Mais 12'000 m2 d’espace, sur un périmètre global dix fois plus grand, particulièrement bien situé se sont libérés en 2020 et sont devenus un lieu propice à des activités transitoires. Soyez les bienvenus à la Malleytte !
Qu’est-ce qui vous a motivé à lancer un projet d’urbanisme transitoire ?
Cet espace généreux et stratégiquement situé a toujours été fermé au public, alors qu’il permet une traversée intéressante du quartier. Une fois qu’il a été libéré par la démolition des bâtiments, nous avons souhaité le rendre accessible au public et le faire vivre afin d’éviter qu’il soit utilisé pour y entreposer du matériel de chantier par exemple.
Comment vous y êtes-vous pris ?
Nous avons identifié quelques acteurs clés des communes de Prilly et de Renens aptes à faire vivre le lieu et avons imaginé avec eux des aménagements et une programmation. Ce grand espace bétonné a nécessité des aménagements communs pour le rendre plus agréable et praticable : chemin destiné à la mobilité douce, terrain de jeux, toilettes, éclairage, etc. Puis nous avons donné le mandat à l’une des associations partenaires, l’association I Lake Lausanne, de coordonner les différentes activités sur cet espace.
Qu’est-ce que ce projet a apporté aux acteurs impliqués ?
Mettre à disposition à des conditions intéressantes du terrain bien situé à des acteurs socio-culturels favorise la créativité et l’entrepreneuriat. C’est ce qui s’est passé à la Malleytte : la Compagnie O’Chap a par exemple créé un véritable laboratoire pour la scène du cirque dans le chapiteau qu’elle a eu l’opportunité d’installer. Deux autres initiatives ont rejoint le périmètre : la demeure, un espace social de rencontre autour de pratiques artistiques et AxéCycle, un atelier cycliste participatif.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontées ?
Une des plus grandes difficultés est la législation qui n’est pas encore pensée pour de l’occupation transitoire : on ne rentre ni dans la case « festival », ni dans la case « pérenne ». Avec le transitoire, on est entre deux et la loi ne s’est pas encore adaptée à cela.
Qu’allez-vous garder de ces activités dans le futur quartier ?
L’idée ici est de préfigurer une vie de quartier, mais l’échelle de l’espace public à disposition aujourd’hui et dans le futur quartier n’est pas la même. Nous verrons ainsi comment maintenir au mieux cette dynamique. Quoi qu’il en soit, l’objectif de rendre cet espace accessible à tous et de permettre son utilisation est atteint.
Interview d’Olivier Ramber, responsable développement Suisse romande chez Mobimo et instigateur de l’utilisation transitoire de la RASUDE
Le quartier de la Rasude, à proximité immédiate de la gare de Lausanne, est aujourd’hui entre deux vies. Hier, il était occupé par des bureaux des CFF et par le centre de tri postal – demain, il deviendra un quartier vivant regroupant logements, bureaux, services, hôtel, commerces et restaurants. Un espace idéal donc pour des occupations transitoires. C’est ce qu’ont choisi de proposer ses propriétaires actuels, Mobimo et CFF immobilier, sur une partie des 19'000 m2 disponibles.
Pourquoi avez-vous rendu possible l’utilisation transitoire d’une partie de la Rasude ?
Avec ce quartier de la Rasude, nous créons un bout de ville pour les Lausannoises et les Lausannois : en plein cœur de la ville, cet espace sera leur espace, ils doivent se l’approprier et l’imaginer avec nous. Et l’une des manières de le faire est de le rendre accessible dès aujourd’hui et de permettre son utilisation. Un ancien centre de tri qui devient un lieu d’exposition, une ancienne salle de guichets postaux qui se transforme en salle de conférence : nous nous réjouissons que l’utilisation de ce lieu insolite, jusqu’ alors fermé au public, amène de la vie dans le quartier, que les gens le découvrent et prennent plaisir à y venir.
Comment avez-vous organisé cette occupation transitoire ?
Nous avons donné carte blanche à l’association LABOR (Laboratoire d’expérimentation urbaine et artistique) de faire vivre cet espace, et surtout de questionner notre projet, de le nourrir et de le challenger. Ce laboratoire urbain propose d’expérimenter de nouvelles manières d’envisager ce bout de ville, sous un angle artistique, citoyen et écologique principalement.
Quel est votre premier retour sur ce processus innovant ?
Il nous permet réellement d’améliorer notre compréhension du site, d’identifier et de tester des besoins ainsi que de créer un large réseau avec des futurs usagers potentiels. Dans le monde de l’immobilier, nous devons apprendre à fonctionner de façon plus organique : faire confiance aux acteurs du terrain, tester, laisser vivre, évoluer. C’est un excellent exercice.
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