Les matériaux biosourcés pourraient transformer le secteur de la construction en allié dans la transition énergétique. C’est ce que démontre le projet Bioloop de l’Institut Energy du Smart Living Lab de Fribourg, mené en collaboration avec l’Institut inPACT de l’HEPIA Genève, dont l’objectif est de quantifier et d’évaluer l’utilisation de ces matériaux pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Projet Bioloop - Des bâtiments gardiens du CO2
L'essentiel en 3 points :
Quels sont les matériaux biosourcés disponibles en Suisse, et quel est leur potentiel pour réduire et stocker les émissions de CO2 ? Ces premières interrogations ont guidé l’équipe de Bioloop, qui a exploré durant deux ans comment l’intégration massive de matériaux tels que le bois, la paille et le chanvre pourrait faire de nos bâtiments des puits de carbone, capables de conserver le carbone dans leurs murs.
Des émissions grises épargnées
Les chercheurs sont restés ancrés dans la réalité, en tenant compte des habitudes actuelles dans la construction (le béton !) et des objectifs de la Stratégie énergétique 2050. Ils ont ainsi mené des simulations sur divers scénarios, incluant des taux variables d’utilisation de matériaux biosourcés. Résultat : l’intégration de ces biomatériaux dans les constructions neuves peut réduire les émissions grises de plus ou moins 40 %. « Aujourd’hui, l’efficacité énergétique des nouveaux bâtiments est déjà notable, avec des émissions de carbone faible en phase d’exploitation, relève Yasmine Priore, architecte et chercheuse dans le projet Bioloop. Toutefois, cela ne suffit pas à atteindre les cibles de la Stratégie énergétique 2050 et selon la chercheuse, il est urgent de s’attaquer aux émissions grises, ces « énergies cachées » nécessaires à la construction même. Longtemps focalisés sur la phase d’exploitation les architectes et ingénieurs doivent désormais évaluer les émissions sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment.
Des biomatériaux alliés du zéro net
En adoptant la loi sur la protection du climat, le peuple suisse a également dit oui à l’objectif de « zéro émission nette de gaz à effet de serre » d’ici 2050. Pour atteindre ce but ambitieux, la Confédération intègre différentes approches pour réduire nos émissions, mais compte également sur les techniques de captation pour retirer le CO2 de l’atmosphère. Or, ces dernières restent encore à développer, car elles ne sont encore ni pertinentes écologiquement, ni viables économiquement.
Si ces solutions tardent, les biomatériaux offrent quant à eux déjà une piste tangible, apportant une réponse simple et efficace à la question du stockage de carbone. Bien que les résultats soient encore en cours d’analyses, les premiers retours sont plus qu’encourageants et le potentiel est énorme, comme l’explique Yasmine Priore du projet Bioloop. « En Suisse, nous estimons devoir capter et stocker environ 50'000 millions de tonnes de CO2 d’ici 2050, explique la chercheuse. L’usage systématique de matériaux biosourcés dans les constructions neuves et les rénovations pourrait permettre de stocker cette quantité, et ce malgré le grand nombre d’hypothèses possibles dans l’évolution du parc immobilier. » Oui, vous avez bien lu : nous pourrions atteindre les objectifs 2050 de captation en utilisant massivement les matériaux biosourcés dans la construction. La chercheuse rappelle toutefois que chaque construction ou rénovation, même en biosourcé, induit des émissions. L’objectif premier reste donc de minimiser les émissions, en privilégiant les rénovations lorsque le bilan carbone est favorable sur la durée de vie des bâtiments.
Question de quantité et de temps
Pour que les biomatériaux aient un impact significatif, il faut toutefois que la quantité y soit, rappelle Yasmine Priore. « Nos bâtiments peuvent devenir des stocks de carbone, à l’image des forêts ou des océans, si nous intégrons ces biomatériaux à grande échelle. Ils contribueraient à stabiliser les flux de carbone et influeraient positivement sur le climat, les écosystèmes et la biodiversité. » La temporalité est également cruciale et doit être considérée dans le respect des cycles naturels. La question est : combien de temps le carbone reste-t-il stocké, et quelle est la vitesse de croissance des plantes utilisées ? Car l’enjeu est d’atteindre un équilibre entre l’utilisation et le renouvellement des ressources. Si le bois met des décennies à croître, il doit être conservé longtemps dans les bâtiments. A l’inverse, les matériaux à croissance rapide, comme le chanvre ou la paille, peuvent être exploités efficacement sur des cycles plus courts, ce qui rend plus efficace leur période de stockage dans le bâtiment.
Le secteur de la construction, habitué à bâtir en béton, doit désormais renouer avec les ressources naturelles et tout ce qu’elles impliquent. En effet, l’avenir de notre parc immobilier bâti pourrait bien passer par une transition vers ces matériaux qui allient efficacité, durabilité et respect des écosystèmes. Qui sait, peut-être qu’un jour, pas si lointain, nos bâtiments seront non seulement des lieux de vie, mais aussi des gardiens du climat ?
Plus d’infos sur le projet :
INTERVIEW de Yasmine Priore
Architecte et chercheuse à Institut ENERGY/HEIA-FR du Smart Living Lab, impliquée dans le projet BioLoop.
Quel est le contexte actuel autour des émissions dans le secteur du bâtiment, et quelles sont les réticences que vous percevez à l’adoption des biomatériaux ?
Le contexte bouge rapidement en Suisse et l’accent est mis de manière croissante sur la réduction des émissions. Des objectifs et limites de carbone seront par exemple bientôt intégrés dans les normes (MOPEC, SIA, CECB). Les acteurs du secteur s’engagent de plus en plus à limiter les émissions carbone des bâtiments.
Quant au stockage de carbone biogénique, le sujet reste débattu, car lors d’une analyse du cycle de vie, les normes nous contraignent à comptabiliser tout ce qui est stocké, mais aussi déstocké en fin de vie du bâtiment, et on suppose alors très souvent que les biomatériaux seront tous brûlés, qu’ils libèreront le carbone stocké et que donc, le résultat est nul.
Alors on ne fait que repousser le problème ?
Oui et non. On vise 2050 avec l’objectif net zéro, et il est contradictoire de supposer que tous les bâtiments seront brûlés en même temps dans 60 ans, et que tout le carbone stocké va être relâché d’un seul coup. S’il faut trouver une solution pour la fin de vie des matériaux, pourquoi ne pas envisager sérieusement le réemploi ou la réutilisation ? Certes, ça repousse un peu le problème, mais scientifiquement, le stockage permet de décaler le pic des émissions, laissant le temps aux réductions d’émissions de stabiliser les températures.
Nous sommes en pleine transition vers un objectif « net zéro » à atteindre dans 25 ans environ. Pour cela, la Stratégie énergétique 2050 mise, entre autres, sur des technologies de captation du CO2, dont l’efficacité reste à prouver. En revanche, l’utilisation des matériaux biosourcés dans la construction offre une solution concrète et efficace.
Est-ce que certaines choses vous ont surprise durant ce travail de recherche Bioloop ?
Ce qui m’a surprise, c’est que certains matériaux biosourcés peuvent déjà être intégrés dans des projets de construction, bien que leur normalisation soit encore incomplète, entraînant des contraintes administratives et techniques. Leur inflammabilité et faible masse volumique posent également des défis en sécurité incendie, isolation acoustique et thermique. Des combinaisons avec des matériaux géosourcés, comme la terre, permettent toutefois de surmonter certaines de ces limites. En Suisse, certains acteurs ont développé le savoir-faire nécessaire et ont réalisé des exemples concrets, mais on est loin d’une pratique à grande échelle.
Nous avons aussi découvert qu'en matière de stockage de carbone biogénique, il n’est pas nécessaire de maximiser la quantité de bois dans chaque bâtiment.
Par exemple, une ossature bois au lieu de bois massif réduit la quantité de bois utilisée par bâtiment, mais permet de répartir la ressource sur plusieurs constructions. Cette approche optimise l'utilisation du bois à l'échelle du parc immobilier tout en offrant le même bénéfice global de stockage. La clé est donc de penser en termes de parc bâti global, plutôt que de se concentrer sur des structures individuelles. En parallèle, il est essentiel d'augmenter le taux de rénovation d'ici 2050 pour réduire les émissions d’exploitation, tout en prêtant attention aux matériaux mis en œuvre, afin de garantir un impact environnemental cohérent.
Le projet Bioloop se terminera fin décembre 2024. Qu’allez-vous faire ensuite, à titre individuel ?
J’ai entamé un travail de thèse qui explorent les solutions pour des bâtiments net zéro. Bien que l’utilisation des matériaux biosourcés soit un élément clé, il n’est pas la seule stratégie. Nous devons également réfléchir à la réutilisation des ressources et à la conception globale, avec notamment la réduction des surfaces construites par personne ou encore l’optimisation de l'efficacité énergétique des bâtiments. Bioloop s’est concentré sur les matériaux biosourcés, mais atteindre le net zéro dans la construction demande des solutions bien plus vastes.
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