Offrir aux habitantes et habitants des villes, mais aussi des villages, la possibilité de pratiquer la majorité de leurs activités quotidiennes à proximité de chez eux, c’est l’objectif de la ville du quart d’heure. C’est l’habitant qui est à nouveau au cœur de cet urbanisme de proximité. Est-ce un nouveau concept ou une manière de présenter de façon très communicable pour le grand public ce vers quoi tendent les urbanistes actuels ? Voyons plutôt.
Tous nos besoins à portée de pieds: bienvenue dans la ville du quart d'heure
Réduire les trajets et mutualiser les espaces
Réfléchissez à vos activités régulières et aux déplacements qu’elles engendrent : vous rendre à votre travail, amener vos enfants à l’école ou à leur cours de théâtre, aller faire vos courses, vous rendre à votre salle de sport, aller boire un café, écouter un concert, nager, conduire votre tante chez son médecin, vous rendre à votre cours d’anglais - la liste est longue. Selon l’Office fédéral de la statistique, la population suisse passe chaque jour 90 minutes dans les transports - en moyenne 45 minutes à se déplacer pour ses loisirs, 17 minutes pour son travail, 13 minutes pour ses achats et le reste pour d’autres activités. La majorité de ces trajets se font en voiture (72%) ; viennent ensuite le train (12%), puis les déplacements piétons (5%), et enfin en bus (3%) - (autres 5%). En Suisse toujours, la mobilité est responsable de 33% de la consommation d’énergie et émet 39% du CO2. C’est donc un domaine sur lequel nous avons un grand potentiel d’action : et c’est sur l’un de ces constats de base qu’est né le concept de la ville du quart d’heure. En effet, si la majorité des activités que nous pratiquons régulièrement se trouvait à environ 15 minutes à pied ou à 5 minutes à vélo de chez soi, et si ces trajets étaient agréables, cela réduirait considérablement le temps passé sur les routes ou le rail, en plus de contribuer à les désaturer.
Le concept de la ville du quart d’heure tel qu’imaginé par son co-créateur Carlos Moreno, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris-Sorbonne, c’est une ville qui a plusieurs centres dont chacun offre à ses habitants ce qui est essentiel à son quotidien : faire des courses, travailler, s’amuser, se cultiver, faire du sport, se soigner, etc. Pour pouvoir offrir toutes ces activités dans un périmètre existant souvent déjà construit, l’une des solutions proposées est de partager les locaux et infrastructures existants. Les écoles pourraient ainsi servir à des cours de musique le soir, les discothèques devenir une salle de sports en journée, les cours d’écoles offrir un espace de jeux ou de rencontre supplémentaire le week-end, les bibliothèques des espaces de coworking, les bâtiments publics devenir des lieux d’exposition, etc. Selon Carlos Moreno : plutôt qu’offrir des infrastructures pour aller plus vite et plus loin, il vaudrait mieux utiliser les ressources disponibles à proximité, évitant ainsi des déplacements inutiles.
Mais pour que ce périmètre du quart d’heure fonctionne, il faut qu’il soit attractif, non seulement en termes d’activités proposées, mais aussi en termes d’espaces publics mis à disposition. Les habitants doivent avoir envie d’y passer du temps et d’y créer une vie sociale. Il s’agit donc d’améliorer les espaces publics, de végétaliser, de les rendre agréables pour toutes et tous. Il est également important d’impliquer la population dans la conception de leur centre, d’entendre leurs besoins et leurs envies.
L’exemple de Paris
Anne Hidalgo, maire de Paris, , a lancé le projet de ville du quart d’heure en 2020 et plusieurs mesures ont été planifiées dans ce cadre :
- Ouvrir les cours d’école au reste du quartier et les végétaliser en « cours oasis » ;
- Piétonniser des rues à proximité des écoles ;
- Offrir des lieux qui accueillent des activités de grandes institutions culturelles parisiennes et des acteurs culturels de chaque arrondissement ;
- Mettre en place des « kiosques citoyens » où les habitants peuvent se rencontrer, s'entraider, demander des conseils, avoir accès à des associations ;
- Renforcer le maillage des commerces et services de proximité ;
- Favoriser la production locale et/ou les circuits courts avec le label « Fabriqué à Paris ».
QUESTIONS À YVES BONARD, URBANISTE FSU, RESPONSABLE DE L'UNITÉ « PROJETS URBAINS » AU SERVICE D’URBANISME DE LA VILLE DE LAUSANNE.
Yves Bonard, que pensez-vous du concept de ville du quart d’heure ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce concept ?
La ville du quart d’heure est avant tout un slogan efficace pour résumer une stratégie urbanistique pas si aisée à mettre en œuvre. C’est un modèle idéal simple et facile à communiquer, pour répondre à la question clé : « Quelle ville voulons-nous ? ». Dans les villes qui s’étalent depuis plusieurs décennies, il y a un véritable enjeu à redonner de la valeur à la proximité. Ce modèle marque une rupture avec le celui de la ville fonctionnaliste, dans laquelle chaque espace est spécialisé et qui repose sur la mobilité individuelle motorisée : des grands quartiers de bureaux, des grands centres commerciaux périphériques, des quartiers purement résidentiels, etc. La ville du quart d’heure peut offrir de nombreux avantages : réduire les déplacements pendulaires, diversifier les quartiers pour leur donner davantage de qualité et d’attractivité, favoriser les interactions sociales, économiques et culturelles et renforcer l'attachement des gens à leur quartier. À noter qu’en Suisse, compte tenu de l’échelle maitrisée des villes et agglomérations, la ville du quart d’heure est déjà une réalité pour bon nombre de personnes.
Et quelles sont vos critiques de ce modèle ?
Sa mise en œuvre est un peu utopique et se heurte à des difficultés concrètes. Il ne tient par exemple pas compte du fonctionnement désormais largement globalisé de nos sociétés : de nombreuses marchandises et services reposent en effet sur des échanges à distance (commerce en ligne p.ex.). De plus, dès que l’on s’éloigne des quartiers relativement denses, dans les espaces périurbains, les espaces ruraux ou alpins par exemple, il est très difficile de faire vivre économiquement certains commerces ou services.
Concrètement, dans une administration, quels sont vos outils pour favoriser cet urbanisme de proximité ?
À Lausanne par exemple, nous venons de réviser notre plan directeur communal qui définit comment chaque quartier pourra se développer dans les 15 prochaines années. Cet outil nous permet de favoriser cet urbanisme de proximité en identifiant en amont quels sont les manques par quartier et en développant des équipements publics de qualité dans chacun des quartiers (parcs, écoles, infrastructures sportives, espaces publics attractifs, etc.). Cet outil urbanistique permet également de favoriser l’offre commerciale par sa règlementation. Pour favoriser l’installation de commerces dans certains périmètres critiques en termes de rentabilité, les commerces d’utilité publique représentent une piste intéressante.
Puisque la moitié des déplacements sont dus aux loisirs, quelle a été votre réflexion concernant cet enjeu ?
Il s’agit tout d’abord de comprendre de quels loisirs nous parlons. S’il s’agit d’une pratique sportive, nous pouvons favoriser l’implantation d’équipements sportifs au cœur des différents quartiers (salle de gym, piscines, parcours extérieurs, etc.). S’il s’agit d’avoir accès à la nature, nous avons la chance à Lausanne d’être au contact direct de grandes entités naturelles très attractives : les rives du lac, le massif forestier de Sauvabelin, le Chalet à Gobet. Il s’agit de favoriser l’accès à ces lieux de détente en transports publics et d’offrir plus de lieux de baignade aménagés par exemple. Pour les loisirs éloignés des centres urbains (en montagne p.ex), il est nécessaire d’offrir des alternatives à la voiture individuelle, en proposant notamment des déplacements facilités en transports publics.
Et quels potentiels d’amélioration voyez-vous encore pour une ville qui réponde aux enjeux actuels ?
Comme le prône la ville du quart d’heure, l’espace public en milieu urbain est un espace précieux sur lequel trop de place est encore dévolu à la voiture. Il doit être mieux partagé pour permettre la plantation d’arbres par exemple, essentiels à la qualité de vie des habitants, permettre plus de déplacements agréables pour les piétons et les cyclistes, favoriser les rencontres, etc. La ville de demain doit réduire drastiquement ses émissions carbone et s’adapter aux multiples effets du changement climatique. Mais face à ce défi, nous devons veiller aux conséquences sociales, afin que cette transition n’augmente pas les inégalités présentes en milieu urbain, mais au contraire vienne les corriger.
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