Au carrefour du Front Office et des planificateurs réseaux, Loïc Allamand fait ainsi le lien entre les demandes de raccordements au réseau qui arrivent quotidiennement chez Romande Energie, et les besoins de planification à long terme pour répondre à une demande qui explose. Il jongle donc entre une vision à court et à long terme. Il nous dessine les contours de son métier et des défis à relever dans le cadre de la transition énergétique actuelle.
« Nous devons adapter les règles techniques et renforcer le réseau pour garantir notre sécurité »
Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots votre rôle en tant que planificateur réseau chez Romande Energie ?
Mon rôle consiste à faire le lien entre les collaborateurs du Front Office qui reçoivent les demandes de raccordements clients via le portail en ligne de Romande Energie, et ceux qui planifient les actions à prendre pour adapter le réseau sur le long terme. Je m’efforce de faire en sorte que la stratégie (vision à long terme) adopte des règles qui permettront de relâcher la pression sur l’opérationnel (vision quotidienne). J’assiste également les techniciens dans des études plus poussées sur le réseau basse tension.
Comment ce lien se traduit-il concrètement, que faites-vous au quotidien ?
Mon travail consiste à développer un ensemble de solutions de renforcement à long terme, une sorte de boîte à outils pour les techniciens. Pour vous donner un exemple : lorsqu’il s’agit d’étudier et d’installer des technologies actives (régulateurs basse tension, transformateurs régulés, etc.) ou de fixer des règles de renforcement du réseau associant différents paramètres, nous tenons compte des potentiels toits qui viendraient à s’équiper en photovoltaïque dans le quartier. Car si un propriétaire de villa nous demande de raccorder une installation solaire, il est fort à parier que les voisins actuels et les résidents futurs feront de même. Cette vision à plus long terme nous permet de prendre des risques calculés, en surdimensionnant certaines infrastructures notamment. Nous cherchons toujours le meilleur équilibre entre sécurité, satisfaction client et dépenses. Cette approche porte ses fruits face à la croissance exponentielle des demandes.
Cette vision du réseau à long terme était inexistante auparavant ?
Elle n’était pas intégrée de la même manière. Il faut rappeler que le réseau est initialement conçu pour acheminer l'électricité des grandes unités de production - centrales hydrauliques et nucléaires - vers les clients. Avec la production décentralisée, la donne a changé : désormais, ce sont les clients qui produisent et injectent de l'énergie. Notre défi est donc de mettre en place des solutions pour ce réseau bidirectionnel. De plus, la crise du Covid-19, la guerre en Ukraine et ses conséquences sur le prix de l’énergie, ou encore le risque de pénurie de l’hiver passé ont grandement sensibilisé la population aux questions énergétiques. Ainsi, les demandes de raccordements ont explosé : en 2014, Romande Energie a raccordé 470 installations photovoltaïques au réseau ; en 2022, ce chiffre est monté à 2'800 raccordements et quelque 4'000 demandes. Au cours du seul mois de juillet de cette année, nous avons reçu environ 700 demandes, soit plus en un seul mois que durant toute l’année 2014. Face à cette croissance, nous devons adapter les règles techniques et renforcer le réseau pour garantir notre sécurité, tout en gardant cette vision à court et à long terme.
En tant que propriétaire, comment puis-je concrètement jouer un rôle dans cette adaptation du réseau ?
Les propriétaires sont évidemment impuissants face à l’état du réseau. Dans plus de 90% des cas, aucun renforcement n’est nécessaire et un devis est envoyé dans les 48h. Dans les cas où une intervention est nécessaire, ils peuvent toutefois nous aider en faisant preuve de patience, même si je comprends leur frustration à ne pas pouvoir installer du renouvelable rapidement. Lorsque nous construisons une station transformatrice par exemple, il faut réaliser qu'un client peut être bloqué durant plusieurs mois avant de pouvoir réinjecter son électricité dans le réseau. Une attente due à la forte augmentation de la demande, au temps que prennent les autorisations à être délivrées, mais également aux délais de livraison : 14 mois pour le dernier régulateur basse tension ! De nombreux pays sont en train de décarboner leur approvisionnement électrique et ont besoin des mêmes matériaux que nous.
Pour répondre à ces préoccupations, nous travaillons sur des solutions intermédiaires qui permettraient aux clients de refouler partiellement leur énergie via un paramétrage de leurs onduleurs, pendant que nous effectuons les renforcements nécessaires. Nous cherchons des alternatives pour économiser du temps et de l’argent, car les investissements dans le réseau se répercutent finalement sur les tarifs via le timbre payé par les consommateurs. Sur le terrain, nous remarquons également une réticence croissante des propriétaires à autoriser l’installation d’une armoire électrique sur leur parcelle ou à permettre le passage de câbles dans leur jardin. Cette attitude de « oui à la transition énergétique, mais pas chez moi » complique la construction réseau.
Le photovoltaïque est pour le moment la principale énergie produite par les particuliers. Mais il sera visiblement difficile de faire sans les éoliennes notamment. Le réseau est-il prêt à récupérer toutes sortes d’énergies durables (éolienne, géothermie) ?
Les grosses installations, comme le parc éolien de Sainte-Croix, sont des projets de plusieurs millions de francs et le coût du renforcement du réseau est pris en considération par les investisseurs. Les défis majeurs résident davantage dans les petites installations. Les quartiers de villas, caractérisés par un grand nombre de dérivations sur les câbles, et les réseaux ruraux ou montagnards, qui présentent une typologie aérienne, posent les problèmes les plus complexes. Nous travaillons donc à élaborer des règles de renforcement adaptées à ces situations spécifiques. Mais nous aurons de toute façon besoin d’une large palette d’énergies renouvelables pour couvrir nos besoins en électricité et décarboner notre région.
Que diriez-vous à quelqu’un qui aspire à faire ce métier de planificateur réseau ?
Je lui dirais que c’est un passionnant métier d’avenir, au service de la transition énergétique et où l’apprentissage est constant. Il existe également un réel besoin de compétences dans ce domaine. Un autre aspect positif est la possibilité d’évoluer et de se spécialiser dans différents niveaux de tensions (basse, moyenne, haute). Il existe une palette de métiers passionnants, tous aussi intéressants les uns que les autres, dans le secteur de l’énergie.
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